Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/146

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dès que le cœur du naturaliste, de retour de l’expédition précipitée qu’il avait faite, fut revenu dans son gosier[1], ainsi qu’un homme moins versé que le docteur Battius dans la construction anatomique de la machine humaine pourrait être tenté d’expliquer la sensation que lui fit éprouver cette interruption imprévue, il trouva assez de résolution pour répondre, en prenant, autant par crainte que par prudence, la même précaution de ne pas élever la voix :

— Ma digne Nelly, je suis bien charmé de voir que ce ne soit pas quelque autre que vous. Silence, mon enfant, silence ! Si Ismaël venait à connaître nos projets, il n’hésiterait pas à nous précipiter tous deux du haut de ce rocher dans la plaine. Chut ! Nelly, chut !

Tout en parlant ainsi, il continuait à marcher ; et quand il eut fini, sa compagne et lui se trouvèrent sur le bord du rocher.

— Et maintenant, docteur Battius, lui demanda Hélène d’un ton grave, puis-je savoir pour quelle raison vous avez couru le danger de prendre votre vol sans ailes du haut de ce rocher, au risque certain de vous casser le cou en tombant ?

— Je ne vous cacherai rien, ma digne et bonne Nelly. — Mais êtes vous bien sûre qu’Ismaël ne s’éveillera point ?

— Il n’y a nulle crainte à cet égard ; il dormira jusqu’à ce que le soleil brûle ses paupières. Le seul danger est du côté de ma tante.

— Esther dort, dit le docteur d’un ton sentencieux. Mais vous, Hélène, vous veillez donc cette nuit sur ce rocher ?

— J’en ai reçu l’ordre.

— Et vous avez vu, comme de coutume, le bison, l’antilope, le loup, le daim, animaux des ordres pecora, belluœ et ferœ ?

— J’ai vu les animaux que vous venez de nommer en anglais, mais je ne connais pas les langues indiennes.

— Il y a encore un ordre dont je n’ai point parlé, et que vous avez vu aussi, l’ordre primates, — n’est-il pas vrai ?

— Je ne puis vous répondre ; je ne connais aucun animal qui porte ce nom.

— Allons, Hélène, vous parlez à un ami, — je parle du genre homo, mon enfant.

  1. On dit vulgairement en anglais que le cœur remonte dans la gorge, pour exprimer un malaise ou une sensation désagréable. C’est sur cette locution qu’est fondée l’explication de l’auteur.