Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/164

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on l’accusait, ce fut la preuve qu’on obtint, en suivant les traces du sang, qu’Asa, quoique blessé à mort, avait encore été en état d’opposer une résistance longue et désespérée aux efforts de son meurtrier. Ismaël sembla appuyer sur cette preuve avec un singulier mélange de douleur et d’orgueil ; de douleur d’avoir perdu un fils dont il faisait grand cas, malgré les torts dont il avait pu se rendre coupable ; d’orgueil, en voyant le courage et la force qu’il avait montrés jusqu’à son dernier soupir.

— Il est mort comme devait mourir un de mes fils ! s’écria-t-il avec une sorte de triomphe, comme s’il eût cherché une froide consolation dans cette idée hors de la nature ; il s’est fait craindre de son ennemi jusqu’au bout, et sans avoir aucune aide des lois ! Allons ! enfants, il faut songer d’abord à lui creuser une fosse, et ensuite à poursuivre son meurtrier.

Les jeunes gens s’occupèrent de cette triste besogne, en gardant un sombre silence. À force de temps et de peine, ils firent une excavation profonde dans la terre, et chacun d’eux donna, pour en couvrir le corps du défunt, ceux de ses vêtements qui ne lui étaient pas strictement nécessaires. Quand ces préparatifs furent terminés, Ismaël s’approcha d’Esther, qui semblait ne rien voir de tout ce qui se passait, et lui annonça qu’on allait ensevelir le mort. Elle l’entendit, et abandonnant le bras de son fils qu’elle tenait encore, elle se leva en silence, et suivit tranquillement le corps jusqu’à sa dernière demeure. Là, elle s’assit sur le bord de la fosse, et suivit des yeux tous les mouvements de ses enfants. Lorsque les restes d’Asa furent recouverts d’une quantité suffisante de terre, Enoch et Abner descendirent dans la fosse, et foulèrent le sol de toutes leurs forces avec un mélange bien étrange, pour ne pas dire sauvage, de soin et d’indifférence. Cette précaution bien connue était prise pour empêcher que le cadavre ne fût exhumé par les animaux carnassiers de la Prairie, que leur instinct ne manquerait pas d’amener en ce lieu. Les oiseaux de proie eux-mêmes, mystérieusement instruits par le leur que la malheureuse victime allait être abandonnée par la race humaine, revinrent en ce moment voltiger en grand nombre sur la tête des travailleurs, en poussant des cris comme s’ils eussent cru pouvoir les faire renoncer à leur ouvrage.

Ismaël resta debout, les bras croisés, regardant avec fermeté la manière dont s’exécutaient toutes ces opérations nécessaires. Lorsque tout fut terminé, il se découvrit la tête pour saluer ses