Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/198

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ne connaissait pas la régularité militaire ; ainsi je commence l’appel.

— Mais à propos, Trappeur, les abeilles, les bosses de buffle et quelques autres affaires m’ont fait oublier jusqu’à présent de vous demander votre nom, et cependant j’ai dessein de commencer l’appel par mon arrière-garde, car je sais que le corps avancé est trop occupé pour me répondre. Comment vous nommez-vous ?

— Comment je me nomme ? Ma foi, chaque peuplade avec laquelle j’ai demeuré m’a donné un nom différent. Les Delawares m’en donnèrent un qu’ils imaginèrent parce que j’avais la vue aussi perçante que le faucon[1] ; les colons des montagnes de l’Otsego me baptisèrent à leur tour d’après la manière dont je me couvrais les jambes[2] ; je ne saurais dire combien de noms j’ai portés pendant ma vie. Mais quand le moment arrivera où nous devrons être passés en revue l’un après l’autre, peu importera sous quel nom nous aurons joué notre rôle. J’espère humblement que je serai en état de répondre à tous les miens à haute voix et sans rougir.

Paul fit peu d’attention à cette réponse, dont plus de la moitié se perdit dans la distance, et continuant sa veine de plaisanterie, il appela le naturaliste d’une voix de stentor. Le docteur Battius n’avait pas jugé nécessaire de pousser ses succès au-delà de la niche que le hasard avait si heureusement formée pour le protéger, et où il se reposait de ses travaux, avec la certitude agréable d’y être en sûreté et la satisfaction d’être en possession du trésor végétal dont nous avons déjà parlé.

— Montez, montez ici, mon digne attrapeur de taupes ; venez voir la perspective dont jouissait ce coquin d’Ismaël ; venez regarder hardiment la nature en face, et ne vous cachez plus dans les grandes herbes de la Prairie pour y chercher des sauterelles.

Le léger et enjoué chasseur d’abeilles devint tout à coup aussi silencieux qu’il avait été bruyant, en voyant Hélène Wade sortir de la tente. Quand elle se fut assise solitairement sur une pointe du rocher, comme nous l’avons dit, Paul affecta de s’occuper à faire une revue exacte de tout ce qui appartenait à Ismaël. Il vida sans scrupule tous les tiroirs d’Esther, dispersa par terre autour de lui tous les atours rustiques des jeunes filles, sans avoir le moindre égard pour leur valeur ou leur élégance, et renversa les marmites et les poêlons comme s’ils eussent été de bois et non de fer. C’était pourtant sans motif apparent qu’il mettait ainsi tout

  1. Œil-de-Faucon. Voyez le Dernier des Mohicans.
  2. Bas-de-Cuir. Voyez les Pionniers.