Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/244

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— Mon père a une bonne carabine, qu’il prenne un point de mire dans le bois et qu’il fasse feu.

Le vieillard hésita un instant, et se prépara lentement ensuite à donner une preuve délicate de la vérité de ce qu’il disait, et sans laquelle il voyait clairement qu’il ne pourrait dissiper les soupçons de son rusé compagnon. Pendant qu’il baissait son fusil, son œil, quoique affaibli par l’âge, parcourait une masse confuse d’objets à demi cachés au milieu des feuilles, portant les diverses teintes de l’automne, et enfin il se fixa sur le tronc brunâtre d’un petit arbre sur la lisière du bois. Ayant cet objet en vue, il le coucha en joue et fit feu. La balle ne fut pas plus tôt sortie du canon, que ses mains furent agitées d’un tremblement soudain, qui, s’il fût arrivé un instant auparavant, l’aurait mis hors d’état de donner une telle preuve d’adresse. Un silence effrayant suivit l’explosion et dura quelques instants, pendant lesquels il s’attendait à entendue les cris des deux femmes effrayées. Le vent ayant emporté la fumée, il vit que l’écorce de l’arbre qu’il avait pris pour but avait été entamée, et il fut charmé de voir qu’il n’avait pas encore perdu toute sont adresse. Appuyant son fusil par terre, il se tourna vers l’Indien d’un air calme et tranquille.

— Mon frère est-il satisfait ? demanda-t-il.

— Mahtoree est chef des Dahcotahs, répondit le malin Teton en appuyant la main sur sa poitrine pour annoncer qu’il reconnaissait la sincérité du vieillard ; il sait qu’un guerrier qui a fumé auprès du feu de tant de conseils, jusqu’à ce que sa tête soit devenue blanche, ne se trouverait pas en mauvaise compagnie. Mais mon père n’avait-il pas un cheval, comme un grand chef des visages pâles, au lieu de voyager à pied comme un Konza[1] mourant de faim ?

— Jamais. Le Wahcondah m’a donné des jambes, et m’a accordé la résolution de m’en servir. Pendant soixante étés et autant d’hivers, j’ai voyagé dans les bois de l’Amérique, et depuis dix longues années je demeure sur ces plaines découvertes sans avoir en besoin d’employer, pour me transporter de place en place, les forces d’aucune créature du Seigneur.

— Si mon père a vécu si longtemps à l’ombre, pourquoi est-il venu dans les Prairies ? Le soleil le brûlera.

  1. Nom d’une tribu de sauvages.