Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/258

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de la superstition comme un mendiant qui demande les os que vous jetteriez aux chiens. Le Seigneur me pardonnera de me jouer de l’ignorance du sauvage, car il sait que ce n’est point pour me moquer de sa situation, ni pour tirer une vaine gloire de la mienne, mais dans l’espoir de sauver des vies mortelles, et de défendre l’opprimé en déjouant les machinations du méchant ! Teton, continua-t-il en langue sioux, je vous le demande : n’est-ce pas là un grand médecin ? Si les Dahcotahs sont sages, ils ne respireront pas l’air qu’il respire, et ils ne toucheront pas sa robe. Ils savent que le Wahconshecheh (le mauvais esprit) aime ses propres enfants, et qu’il ne tournera pas le dos à ceux qui leur auront causé quelque dommage.

Le vieillard prononça ces paroles d’un ton lugubre et sentencieux, et il se retira un peu de côté comme s’il pensait qu’il en avait dit assez. Le résultat justifia son espoir. Le guerrier auquel il s’était adressé ne tarda pas à communiquer au reste de l’arrière-garde l’important avis qu’il venait de recevoir, et en peu d’instants le naturaliste devint l’objet des regards et même du respect général. Le Trappeur, qui savait que les sauvages adoraient souvent le malin esprit afin de se le rendre propice, attendait l’effet de sa ruse avec le calme d’un homme qui n’eût pas pris le moindre intérêt au succès. Il ne fut pas longtemps sans voir toutes ces sombres figures s’éloigner l’une après l’autre, fouetter leur cheval, et galoper jusqu’à ce qu’elles fussent réunies au reste de leur bande. Bientôt il ne resta plus auprès du docteur que le farouche Wencha. La présence de ce sauvage, qui continuait à considérer le magicien supposé avec une sorte d’admiration stupide, était maintenant le seul obstacle qui s’opposât au succès complet de son artifice.

Connaissant à merveille le caractère de cet Indien, le vieillard ne perdit point de temps pour s’en débarrasser à son tour, et poussant son cheval vers lui, il lui dit à l’oreille en appuyant fortement sur chaque syllabe :

— Wencha a-t-il bu aujourd’hui du lait des Longs-Couteaux ?

— Wagh ! s’écria le sauvage surpris, dont cette question avait soudain ramené les pensées du ciel à la terre. — Parce que le grand capitaine de mon peuple qui marche à la tête de la colonne a une vache qui n’est jamais vide ; et je sais qu’il ne s’écoulera pas longtemps avant qu’il dise : — Quelques uns de mes frères rouges ont-ils soif ?