Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/266

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que je sais être entourée de tant de maux et de souffrances ? Que les Tetons fassent ce qu’ils voudront ; quelque traitement qu’il endure, le vieux Trappeur n’en élèvera pas plus haut la voix ni pour se plaindre ni pour prier.

— Pardonnez-moi, mon digne, mon excellent ami, s’écria le jeune homme repentant, en serrant vivement la main que le vieillard s’apprêtait à retirer ; je ne savais pas ce que je disais, ou plutôt je ne pensais qu’à celles qui nous sont chères à tant de titres.

— C’est bien. Voilà le langage de la nature, et votre grand-père en aurait dit autant. Ah ! combien de saisons, froides et chaudes, sèches et humides, ont passé sur ma pauvre tête depuis le temps où nous chassions ensemble au milieu des Hurons à peaux rouges des lacs, derrière ces montagnes escarpées du vieil York ! Plus d’un superbe chevreuil a été abattu depuis lors par cette main décharnée, oui, et plus d’un infirme Mingo aussi. Dites-moi, mon garçon, le général, car je sais qu’il devint général, vous a-t-il jamais parlé du daim que nous tuâmes la nuit où ces damnés Mingos nous poussèrent jusque dans la caverne de l’île, et du repas délicieux que nous fîmes ensemble ?

— Je lui ai entendu souvent raconter les plus petits incidents de la nuit dont vous parlez ; mais…

— Et le musicien, et son gosier ouvert, et ses cris dans la mêlée ? ajouta le vieillard en riant aux éclats à mesure que ses souvenirs se pressaient dans sa mémoire.

— Tout, tout. — Il n’omettait rien, pas même la plus petite circonstance. Ne vous…

— Comment ! vous a-t-il parlé des coquins cachés derrière les troncs d’arbres, et du pauvre diable suspendu sur la cataracte ?

— Oui, de tous, et de tout ce qui les concernait[1] je dois croire…

— Oui, continua le vieillard d’une voix qui prouvait combien ce spectacle avait laissé une impression profonde sur son esprit, j’ai vécu dans les forêts et au milieu des déserts pendant quatre-vingt dix ans, et si quelqu’un peut se vanter de connaître le monde et d’avoir vu des scènes déchirantes, ce doit être moi ! Eh bien ! jamais, ni depuis lors ni auparavant, non, jamais je n’ai vu un être humain dans un état de désespoir tel que ce sauvage ; et

  1. Ceux qui ont lu les ouvrages précédents dans lesquels le Trappeur paraît comme chasseur ou batteur d’estrade, comprendront probablement les allusions.