Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/414

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aurait encore essayé de fuir. Alors, par une révolution soudaine, s’abandonnant au plus profond désespoir, il se jeta à genoux et commença une prière dans laquelle les noms du Seigneur et de son beau-frère étaient hideusement mêlés, implorant tour à tour le pardon du ciel et celui des hommes, et poussant les cris de détresse les plus sauvages. Les fils d’Ismaël détournèrent les yeux avec horreur d’un pareil spectacle, et le squatter lui-même ne put voir tant d’abjection sans que sa fermeté en fût un peu ébranlée.

— Puisse celui que vous implorez là-haut vous accorder ce que vous lui demandez ! dit-il ; mais un père ne peut jamais oublier le meurtre de son enfant.

Abiram ne lui répondit qu’en faisant les appels les plus humbles à sa pitié pour obtenir du temps. Il le supplia tour à tour de lui accorder une semaine, un jour, une heure, avec des instances proportionnées à la valeur qu’ils acquéraient lorsque toute une vie se trouvait renfermée dans leur courte durée. Le squatter se laissa ébranler, et il se rendit en partie aux désirs du coupable. La fin qu’il se proposait devait être également remplie ; seulement les moyens étaient changés.

— Abner, dit Ismaël, montez sur le rocher, et regardez avec soin de tous côtés pour vous assurer qu’il n’y a personne dans les environs.

Tandis que son neveu accomplissait cet ordre, un nouveau rayon d’espoir ranima les traits éteints d’Abiram. La réponse fut telle qu’on la désirait. On n’apercevait rien à la plus grande distance, à l’exception du chariot qui s’éloignait. Seulement un enfant accourait en toute hâte, sans doute envoyé par Esther. Ismaël attendit son arrivée. Il reçut des mains de l’une de ses petites filles, qui avait l’air effaré et interdit, quelques pages de ce livre qu’Esther avait conservé avec tant de soin. Le squatter fit signe à l’enfant d’aller rejoindre sa mère, et il plaça les feuilles entre les mains du coupable.

— Esther vous envoie ce livre, lui dit-il, afin que dans vos derniers moments vous pensiez à Dieu.

— Je la remercie, je la remercie ! elle a toujours été pour moi une bonne et tendre sœur ! mais il faut me donner du temps pour que je puisse lire ; du temps, mon frère, du temps !

— Le temps ne vous manquera pas : vous serez vous-même votre bourreau, et mes mains n’auront pas du moins à remplir ce miserable office.