Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/150

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aucune parole scandaleuse contre la réputation d’honnêtes et vertueux marchands d’esclaves. Que le Ciel me préserve de noircir l’honneur d’aucun honnête sujet du roi !

— Ne voyez-vous rien qui aille de travers à bord du navire qui est dans le port extérieur, digne et scrupuleux Joram ? répéta maître Bob sans remuer son œil, un membre ou un muscle.

— Eh bien ! puisque vous me pressez tellement de vous donner mon opinion, et que vous êtes une pratique qui paie bien ce qu’elle ordonne, je vous dirai que s’il y a quelque chose de déraisonnable et même d’illégal dans la conduite de…

— Vous serrez tellement le vent, l’ami Joram, que vous faites tout remuer à bord, dit le vieillard avec sang-froid. Tâchez de me faire une réponse positive. Avez-vous vu à bord de ce négrier quelque chose qui ne soit pas comme elle devrait être ?

— Eh bien donc, rien, sur ma conscience, répondit l’aubergiste en soufflant avec la même force qu’une baleine qui paraît sur la surface de la mer pour respirer ; aussi vrai que je suis un indigne pécheur, écoutant les prédications du bon et fidèle docteur Dogma ; rien, rien.

— Rien ! En ce cas vous avez la vue plus mauvaise que je ne le croyais. Mais ne soupçonnez-vous rien ?

— Le Ciel me préserve des soupçons ! Le démon assiége notre esprit de doutes, mais il faut être faible et mal disposé pour y céder. Les officiers et les gens de l’équipage de ce navire boivent comme il faut, sont généreux comme des princes, n’oublient jamais de payer leur écot avant de sortir de la maison, et par conséquent je dis que ce sont des gens honnêtes.

— Et moi je dis que sont des pirates.

— Des pirates ! répéta Joram les yeux attachés avec une méfiance marquée sur la physionomie de Wilder, qui était tout attention. Pirate est un mot bien dur, maître Bob, et l’on ne doit jamais se permettre une telle imputation contre qui que ce soit, sans avoir de bonnes preuves à alléguer pour se justifier en cas de procès en diffamation, et si une telle affaire était portée devant douze hommes consciencieux et assermentés. Mais je suppose que vous savez ce que vous dites, et devant qui vous parlez.

— Je le sais ; et maintenant, puisque votre opinion en cette affaire n’est absolument rien, vous voudrez bien…

— Faire tout ce que vous m’ordonnerez, s’écria Joram évidemment charmé de changer de sujet de conversation.