Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/171

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les îles, et alors vous ferez vos calculs suivant le vent pour ne pas entrer dans le gouffre, où, comme vous le savez, le courant vous porterait d’un côté, tandis que vos ordres sont d’aller de l’autre.

— Lof, monsieur, songez au lof ! cria le pilote d’une voix ferme au marin qui tenait le gouvernail. Rien ne vous empêche de lofer. Pour rien au monde, n’allez sous le vent du négrier !

Wilder et l’aubergiste tressaillirent en même temps, comme si le nom seul de ce bâtiment eût eu quelque chose d’alarmant, et le premier dit au second, en lui montrant l’esquif :

— À moins que vous ne vouliez faire le voyage avec nous, monsieur Joram, il est temps de rentrer dans votre barque.

— Oui, oui, je vois que vous voilà en route, et il faut que je vous quitte, quelque plaisir que je trouve en votre compagnie, répondit l’aubergiste en s’avançant vers le bord du bâtiment et en descendant dans sa barque aussi bien, qu’il le put ; en bien ! je vous souhaite un bon quart, camarades, un bon vent, et tel qu’il vous le faut, une bonne traversée et un prompt retour. Détachez la corde !

On obéit à cet ordre, et le léger esquif, ne suivant plus le mouvement du navire, dévia sur-le-champ de sa course et devint stationnaire après avoir fait un petit circuit, tandis que le bâtiment continuait à s’avancer majestueusement, comme un éléphant du dos duquel un papillon vient de s’envoler. Wilder suivit un instant la barque des yeux ; mais son attention en fut bientôt détournée par la voix du pilote, qui s’écria de nouveau de la proue :

— Ralinguez un peu ! ralinguez ! Ne perdez pas un pouce de terrain, ou vous ne passerez jamais au vent du négrier ! Lofez vous dis-je, lofez !

— Du négrier ! murmura notre aventurier en se rendant sur une partie de son bâtiment d’où il pouvait voir complètement ce navire important et qui l’intéressait sous un double rapport ; oui, du négrier ! il peut être vraiment difficile de gagner le vent sur le négrier.

Sans y faire attention, il s’était placé près de Mrs Wyllys et de Gertrude. Celle-ci, appuyée sur la balustrade du gaillard d’arrière, regardait le navire qui était à l’ancre, avec un plaisir assez naturel à son âge et à son sexe.

— Vous pouvez rire à mes dépens et m’appeler capricieuse et peut-être crédule, ma chère Mrs Wyllys, dit la jeune fille sans