Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/186

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Cependant les yeux de Wilder étaient attachés sur l’autre bâtiment. L’individu qui avait été si long-temps assis au bout de la grande vergue avait disparu, et un autre marin marchait d’un pas délibéré sur l’autre extrémité de la même vergue, assurant sa marche en tenant d’une main le boute-hors, tandis qu’il avait dans l’autre le bout d’une corde qu’il paraissait sur le point de passer dans l’endroit destiné à la recevoir. Un seul regard suffit pour convaincre Wilder que cet individu était Fid, qui était assez bien remis de son accès d’ivresse pour marcher le long de cette vergue d’un pas aussi sûr, sinon plus ferme, qu’il l’aurait fait sur un grand chemin, si son devoir l’eût appelé sur la terre. La physionomie de notre aventurier, qui un instant auparavant s’était animée, brillait de plaisir et respirait la confiance, changea tout à coup et prit un air sombre et réservé. Mrs Wyllys, qui n’avait perdu aucun des changemens divers qui s’étaient opérés dans ses traits, reprit alors la conversation avec une sorte d’empressement, à l’endroit où il avait jugé à propos de l’interrompre si brusquement.

— Vous disiez que vous nous tireriez d’inquiétude, lui dit-elle, fût-ce aux dépens de…

— De ma vie, madame, mais non de mon honneur.

— Gertrude, nous pouvons maintenant nous retirer dans notre cabine, dit Mrs Wyllys d’un air froid et mécontent, dans lequel beaucoup de désappointement se mêlait au ressentiment que lui inspirait l’idée où elle était que le jeune marin avait voulu s’amuser à ses dépens. Le regard que jeta sur lui Gertrude semblait lui faire un reproche aussi plein de froideur, et le coloris qui animait ses joues, et qui ajoutait à l’expression de ses yeux, était encore plus vif que celui de sa gouvernante, quoiqu’il annonçât peut-être moins de rancune. En passant devant Wilder, qui gardait le silence, elles le saluèrent froidement, et notre aventurier resta seul sur le gaillard d’arrière. Tandis que l’équipage s’occupait à rouer des cordages et à parer le pont, le jeune commandant s’appuya la tête sur le tableau du couronnement de la poupe, cette partie du vaisseau que la bonne veuve du contre-amiral avait si étrangement confondue avec un objet tout différent placé à l’autre extrémité du navire, et il y resta quelques minutes dans une attitude de profonde réflexion, Il fut enfin tiré de cette rêverie par un bruit semblable à celui d’une rame légère qui tombe dans l’eau et qui en sort successivement. Croyant qu’il allait être