Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/199

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rent l’escalier en silence, chacun d’eux paraissait suffisamment occupé de ses réflexions. Ils étaient suivis par Gertrude, plus jeune, et par conséquent plus active ; et, en arrivant sur le pont, ils se placèrent, du côté du vent, sur le gaillard d’arrière.

La nuit était couverte de vapeurs plutôt qu’obscure. La lune venait de se lever dans son plein et avec tout son éclat, mais elle suivait sa route dans les cieux derrière une masse de sombres nuages qui étaient trop épais pour que ses rayons empruntés pussent les pénétrer. Çà et là, cependant, une faible lueur semblait se frayer un passage à travers des vapeurs moins denses, et tombait sur les eaux qu’elle éclairait comme une bougie allumée dans le lointain[1]. Le vent était vif et venait de l’est, la mer semblait faire rejaillir de sa surface agitée plus de lumière qu’elle n’en recevait ; de longues lignes blanches d’écume étincelante se succédaient l’une à l’autre, et prêtaient par momens à la superficie des eaux une clarté distincte dont manquait le ciel même. Le navire était penché sur le côté ; et lorsqu’il fendait chaque vague qui s’élevait sur l’océan, sa proue chassait devant elle un large croissant d’écume, comme si les eaux eussent folâtré sur sa route. Mais, quoique le moment fût propice, que le vent ne fût pas absolument contraire, et que le firmament parût sombre plutôt que menaçant, une lueur douteuse, qui aurait paru contre nature à tout autre qu’à un marin, donnait à ce spectacle un caractère de solitude sauvage.

Gertrude tressaillit en arrivant sur le pont, et murmura en même temps une expression d’étrange plaisir. Mrs Wyllys elle-même regardait les vagues noires qui montaient et descendaient à l’horizon, et autour desquelles se répandait une partie de cette lueur qui aurait pu paraître surnaturelle, avec la conviction profonde qu’elle était alors entre les mains de l’Être qui a créé les eaux de la terre. Quant à Wilder, il considérait cette scène comme un homme qui fixe les yeux sur un ciel serein ; cette vue n’avait pour lui ni nouveauté ni charme, et ne lui inspirait nulle émotion. Il n’en était pas de même de sa jeune compagne. Lorsque son premier mouvement d’enthousiasme se fut un peu calmé, elle s’écria avec toute l’ardeur de l’admiration :

  1. L’auteur ne prétend pas donner la raison philosophique de ce phénomène, mais il pense que les marins ont dû observer que la mer offre plus de ces lumières par une brise d’est que par une brise d’ouest, particulièrement dans les limites de l’Atlantique. — Éd.