Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/206

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— Y a-t-il long-temps que vous avez vu cette voile ? demanda Wilder.

— Je ne viens que de monter ici, monsieur ; mais celui que j’ai relevé m’a dit qu’il l’avait vue il y a plus d’une heure.

— Et celui que vous avez relevé est-il descendu, ou est-ce lui que je vois assis sous le vent de la vigie ?

— C’est lui, monsieur, c’est Bob Brace, qui dit qu’il ne saurait dormir, et il est resté sur la vergue pour me tenir compagnie.

— Dites-lui qu’il descende ; je veux lui parler.

Tandis que le marin qui ne pouvait dormir descendait le long des agrès, les deux officiers gardèrent le silence, chacun d’eux semblant suffisamment occupé à réfléchir sur ce qui s’était déjà passé.

— Pourquoi n’êtes-vous pas dans votre hamac ? demanda Wilder avec un peu de sévérité au matelot qui, obéissant à ses ordres, venait d’arriver sur le gaillard d’arrière.

— Je n’ai pas envie de dormir, votre honneur, et je me proposais de passer encore une heure là-haut.

— Et vous qui avez déjà deux quarts à faire cette nuit, comment arrive-t-il que vous soyez si disposé à en faire un troisième ?

— Pour vous dire la vérité, monsieur, j’ai eu quelques fâcheux pressentimens sur ce voyage depuis l’instant que nous avons levé l’ancre.

Mrs Wyllys et Gertrude, qui entendaient ce dialogue, s’approchèrent insensiblement pour mieux l’écouter, avec un intérêt qui se manifestait par le tressaillement de leurs nerfs et le battement accéléré de leur pouls.

— Et vous avez vos doutes, monsieur ! s’écria le capitaine d’un ton un peu méprisant. Puis-je vous demander ce que vous avez vu à bord qui ait pu vous inspirer quelque méfiance de ce navire ?

— Il n’y a pas de mal à le demander, votre honneur, répondit le matelot en tordant son chapeau entre deux mains qui le serraient comme des tenailles ; et j’espère qu’il n’y en aura pas plus à vous répondre. Je maniais une rame ce matin dans la chaloupe qui a donné la chasse à ce vieux coquin, et je ne puis dire que j’aime la manière dont il nous a échappé. Ensuite il y a dans ce bâtiment qui est là-bas sous le vent quelque chose qui me passe à travers l’imagination comme une drague, et j’avouerai à votre honneur