Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/235

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comme un oiseau dont la plume légère raserait la surface de l’eau. Le vent grondait avec une force qui ressemblait au bruit lointain du tonnerre, et qui semblait menacer d’enlever le vaisseau et ce qu’il contenait de son élément naturel, pour le livrer à un autre plus variable encore et plus perfide. Comme un sage et prudent matelot avait laissé flotter les rides de la seule voile qui restât, au moment où la bourrasque approchait, la voile du perroquet déployée, mais baissée, était gonflée alors de manière à enlever avec elle le seul mât qui était encore debout. Wilder vit à l’instant la nécessité de se débarrasser de cette voile et l’impossibilité totale de l’assujettir. Appelant Earing à ses côtés, il lui montra le danger, et donna les ordres nécessaires.

— Ce mât ne peut résister bien long-temps à de pareilles secousses, dit-il en finissant, et s’il tombait sur l’avant du vaisseau, au train dont celui-ci est emporté, il pourrait lui porter un coup fatal. Il faut faire monter là-haut un homme ou deux pour couper la voile des vergues.

— Ce bois plie comme un fouet de saule, répondit le lieutenant, et déjà même il est fendu par le bas. Il y aurait grand danger à y monter, quand des vents aussi furieux grondent autour de nous.

— Vous pouvez avoir raison, dit Wilder soudainement convaincu de la vérité de ce que l’autre avait dit ; tenez-vous donc ici, et si quelque malheur m’arrive, essayez de faire entrer le vaisseau dans quelque port aussi loin vers le nord que les caps de Virginie au moins. N’allez pas surtout essayer Hatteras dans l’état présent du…

— Que voulez-vous donc faire ? capitaine Wilder, interrompit le lieutenant appuyant fortement la main sur l’épaule de son commandant, qui avait déjà jeté son bonnet de marin sur le tillac et qui se préparait à ôter son habit.

— Je vais monter pour couper cette voile de perroquet, sans quoi nous perdons le mât, et peut-être le vaisseau.

— Oui, oui, je le vois assez clairement. Mais sera-t-il dit qu’un autre aura fait le devoir d’Édouard Earing ? Votre affaire à vous c’est de faire aborder le vaisseau aux caps de Virginie ; la mienne à moi c’est de couper cette voile. S’il m’arrive quelque chose, eh bien ! faites-en mention sur le livre de loch, avec un ou deux mots sur la manière dont je me suis acquitté de mon rôle. C’est là l’épitaphe la meilleure et la plus convenable pour un marin.