Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/271

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tenait à sa ceinture un poignard court et droit ; l’un d’eux s’étant penché sur le bord du vaisseau, son uniforme en s’entrouvrant laissa voir le bout d’un petit pistolet. Il n’y avait cependant aucun autre signe immédiat de défiance d’où un observateur pût conclure que cette précaution de porter des armes fût rien de plus que l’usage ordinaire du vaisseau. Deux sentinelles au regard sombre et dur, vêtues et équipées comme des soldats de terre, et qui, contre l’usage de la marine, étaient placées sur la ligne de démarcation entre le quartier des officiers et l’avant du tillac, annonçaient de plus grandes précautions encore. Mais néanmoins toutes ces dispositions étaient regardées par les matelots d’un œil d’insouciance, preuve certaine que l’habitude les y avait familiarisés depuis long-temps.

L’individu qui a été présenté au lecteur sous le titre imposant de général, se tenait debout, aussi raide qu’un des mâts du vaisseau, étudiant d’un air de critique l’équipement de ses deux mercenaires, et paraissant s’inquiéter aussi peu de ce qui se passait autour de lui que s’il se considérait littéralement comme une partie intégrale et matérielle de la charpente du vaisseau.

Il y avait cependant un homme qu’on pouvait distinguer de tout ce qui l’entourait à la dignité de son maintien et à l’air d’autorité qui respirait même dans le calme de son attitude. C’était le Corsaire, qui était seul à l’écart, personne n’osant approcher du lieu qu’il avait choisi pour s’y établir. Son œil subtil se promenait successivement sur toutes les parties de son bâtiment, comme pour les passer en revue ; puis par momens il restait attaché sur l’une de ces nuées légères et transparentes qui flottaient au-dessus de lui dans les cieux azurés, et alors on voyait s’accumuler sur son front ces ombres épaisses qui semblaient couvrir de profondes réflexions. Son regard devenait même quelquefois si sombre et si menaçant que sa belle chevelure, qui s’échappait en boucles de dessous son bonnet de velours, ne pouvait conserver à ses traits la grâce qui en animait souvent l’expression. Comme s’il dédaignait toute cette contrainte, et qu’il voulût faire connaître la nature de son pouvoir, il portait ses pistolets à découvert, suspendus à un ceinturon de cuir qui était attaché à un habit bleu, orné d’un galon d’or, et auquel était passé, sans plus de mystère, un yattagan de Turquie, léger et recourbé, avec un stylet droit, qui, à en juger par la ciselure du manche, était probablement de la fabrique de quelque artiste italien.