Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/276

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che, je voudrais vous conduire dans le nord et vous montrer des nuages noirs et menaçans, une mer verdâtre et irritée, des écueils et des bas-fonds, des paysages, des collines et des montagnes qui n’existent que dans l’imagination de l’homme qui se noie, et des voiles blanchies par des flots qui nourrissent le requin vorace et le polype dégoûtant.

Gertrude, dans sa réponse, n’avait voulu faire qu’un innocent badinage ; mais on ne voyait que trop, à la pâleur de ses joues et le léger tremblement qui agitait ses lèvres, que sa mémoire était encore pleine de ces terribles images. L’œil perçant du Corsaire ne fut pas long-temps sans découvrir ce changement. Pour bannir tout souvenir qui eût pu lui faire de la peine, il sut donner adroitement un nouveau tour à la conversation.

— Il y a des personnes à qui la mer n’offre aucun amusement ; dit-il. Pour un être languissant, également malade et chez lui et sur la mer, cela peut être vrai. Mais l’homme qui a assez d’énergie pour réprimer les souffrances physiques peut tenir un autre langage. Nous avons régulièrement nos bals, par exemple et il y a à bord de ce vaisseau des artistes qui, s’ils sont incapables peut-être de former avec leurs jambes un angle droit aussi exact que le premier danseur d’un ballet, peuvent continuer leurs figures au milieu d’une bourrasque, ce qui est plus que ne saurait faire le meilleur de tous les sauteurs de salon.

— Un bal sans femmes serait regardé comme un amusement peu agréable, par nous autres du moins, pauvres habitans sans goût de la terre ferme.

— Hum ! ce n’en serait que mieux, sans doute, s’il y avait une ou deux dames. Ensuite nous avons notre théâtre ; la farce et la comédie nous aident tour à tour à passer le temps, et nous chaussons quelquefois le cothurne. Ce brave camarade que vous voyez appuyé sur la vergue du perroquet d’avant, comme un serpent indolent qui s’échauffe au soleil sur les branches d’un arbre, sait pousser des rugissemens à vous faire trembler ; et voici un disciple de Momus, qui ferait naître un sourire sur les lèvres d’un moine atteint du mal de mer : je crois qu’on ne peut rien dire de plus à son éloge.

— Tout cela est beau en peinture, répondit Mrs Wyllys ; mais ce tableau doit quelque chose au mérite du poète ou du peintre, comme vous voudrez que je vous appelle.

— Je ne suis qu’un grave et véridique historien. Cepen-