Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/306

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plus grand silence régnait sur le vaisseau, le Corsaire parut de nouveau sur la poupe, se promenant sans bruit dans de solitaires méditations. Le vaisseau, poussé par le courant du Gouffre, avait tellement dérivé au nord, qu’on n’apercevait plus la terre à l’horizon, et il se trouvait de nouveau entouré d’une masse d’eau dont l’œil ne pouvait découvrir la limite. Comme il n’y avait pas le moindre souffle d’air, on avait ferlé les voiles, et les mâts dégarnis s’élevaient dans l’obscurité de la nuit, semblables à ceux d’un vaisseau qui est à l’ancre. En un mot, c’était un de ces momens de repos complet que les élémens accordent quelquefois aux aventuriers qui livrent leur fortune au caprice et à l’inconstance des vents.

Ceux mêmes qui étaient de garde, enhardis par la tranquillité qui régnait autour d’eux, s’étaient étendus entre les canons, ou sur les différentes parties du vaisseau, pour y chercher le repos dont les règles de la discipline et le bon ordre leur défendaient de jouir dans leurs hamacs. De distance en distance on voyait la tête d’un officier assoupi suivre le mouvement du navire, soit qu’il fût appuyé sur le bord ou sur l’affût de quelque canon placé hors des limites sacrées du tillac. Un seul homme était debout, l’œil ouvert, et surveillant tout avec une attention marquée : c’était Wilder, dont le tour de quart était revenu, d’après la division régulière du service pour les officiers.

Pendant deux heures, le Corsaire et son lieutenant n’échangèrent pas la moindre parole. L’un et l’autre semblaient au contraire s’éviter, car ils avaient chacun leurs sujets secrets de méditation. Au bout de ce temps, le premier s’arrêta tout à coup, et resta long-temps à regarder celui qui était toujours immobile à la même place, sur le pont au-dessous de lui.

— Monsieur Wilder, dit-il enfin, l’air est plus frais et plus pur sur la poupe ; voulez-vous y monter ?

L’autre y consentit, et pendant plusieurs minutes ils se promenèrent en silence, marchant tous deux du même pas, ainsi que les marins ont coutume de le faire pendant la nuit.

— Nous avons eu une matinée agitée, Wilder, reprit le Corsaire trahissant malgré lui le sujet de ses pensées, et parlant toujours de manière à ne pouvoir être entendu que de celui auquel il s’adressait. — Aviez-vous jamais vu d’aussi près ce joli précipice qu’on appelle révolte ?