Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/329

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peut penser légèrement aux consolations qui peuvent découler d’une puissance supérieure à l’humanité ; mais ceux qui en ont le plus souvent éprouvé l’effet ne sentent que plus profondément tout le respect qui lui est dû.

La gouvernante avait détourné un moment les yeux ; mais, pénétrée du sentiment qu’elle exprimait, elle les reporta sur le Corsaire en prononçant ces dernières paroles avec cette expression douce et touchante qui montrait qu’elle était subordonnée à la volonté de l’Être puissant qui remplissait son âme. Le regard qu’elle rencontra était aussi grave, aussi pensif que le sien. Levant un doigt, il l’appuya sur le bras de la gouvernante, mais si légèrement que ce mouvement fut presque imperceptible.

— Pensez-vous que nous méritions le blâme, demanda-t-il, si notre naturel nous porte plus au mal qu’il ne nous est donné de force pour résister ?

— Il n’y a que ceux qui essaient de marcher seuls qui trébuchent. Je ne croirai pas vous offenser en vous demandant si vous ne vous mettez jamais en présence de votre Dieu ?

— Il y a long-temps, madame, que ce nom n’a été prononcé sur ce vaisseau, si ce n’est pour être profané. Mais cette divinité inconnue, qu’est-elle de plus que ce que l’homme, dans son esprit, a jugé à propos de la faire lui-même.

— L’insensé a dit dans son cœur : — « Il n’y a pas de Dieu, » répondit-elle d’une voix si ferme qu’elle surprit cet homme lui-même, qui était depuis si long-temps accoutumé au tumulte et à la grandeur sauvage de sa profession. — « Ceins tes reins comme un homme, car je t’interrogerai et tu répondras. Où étais-tu quand je posai les fondemens de la terre ? Dis-le moi, si tu es doué d’intelligence. »

Le Corsaire resta long-temps les yeux fixés sur la figure animée de celle qui prononçait ces paroles. Puis, détournant involontairement la tête, il dit tout haut, plutôt pour donner cours à ses pensées que pour continuer la conversation :

— Ce n’est pas autre chose que ce que j’ai souvent entendu dire, et cependant ces paroles font sur mon âme la même impression que produirait l’air natal ! Se levant alors, il s’approcha de la gouvernante, dont le visage exprimait à la fois la douceur et la dignité, et ajouta d’un son de voix très bas : — Madame, répétez ces paroles ; n’y changez pas une syllabe, et ne variez en aucune manière l’intonation de votre voix, je vous en conjure.