Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/334

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Aux cris : Une voile paraît !

Que tous les bras soient prêts ! qu’on s’arme, qu’on s’empresse !
Ami, pense à la gloire et pense à ta maîtresse,

Pour le bon droit prie en secret !

Que l’éperon mordant fende les eaux rebelles ;
Le vent bat notre poupe et nous prête ses ailes,

Partons ! une voile paraît !
Huzzah ! nous sommes vainqueurs !

Si plus d’un brave est mort, il est mort comme un brave !
L’Océan à son corps, mais il n’est point esclave ;

Sur lui pourquoi verser des pleurs ?

Il recevra plus tard sa juste récompense.
Amis, qu’un même en de nos bouches s’élance :

Huzzah ! nous sommes vainqueurs !


Dès qu’il eut fini cette chanson, et sans attendre les complimens que ne pouvait manquer d’attirer une exécution aussi parfaite, il se leva, et après avoir invité ses hôtesses à disposer librement de son orchestre, il leur souhaita un doux repos et de doux songes, et descendit dans les appartements inférieurs, sans quoiqu’elles eussent été amusées, ou plutôt séduites par l’intérêt répandu autour de mœurs si bizarres, sans être un seul moment grossières, éprouvèrent, lorsqu’il disparut, une sensation semblable à celle qu’on éprouve en respirant un air plus libre, après qu’on a été renfermé pendant long-temps dans l’atmosphère concentrée d’un donjon. La première regarda sa pupille avec des yeux dans lesquels une vive affection luttait contre une inquiétude profonde et intérieure ; mais ni l’une ni l’autre ne parla, car un léger mouvement près de la porte de la cabine leur rappela qu’elles n’étaient pas seules.

— Voulez-vous entendre encore de la musique, madame ? demanda Roderick d’une voix oppressée, en s’avançant timidement hors de l’ombre qui le cachait. Je chanterai pour vous endormir si vous voulez ; mais je suis suffoqué lorsqu’il m’ordonne d’être gai malgré moi.

La gouvernante prenait déjà un visage sévère, et se préparait à lui faire une réponse dure et péremptoire ; mais touchée du ton plaintif et de l’air soumis et craintif de Roderick, elle adoucit ses traits, et se contenta de lui jeter un regard tout à la fois doux et ferme, dans lequel respiraient la chasteté et l’intérêt d’une mère.

— Roderick, dit-elle, je croyais que nous ne vous aurions pas revu cette nuit.