Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/368

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le mettrai parmi ceux qui monteront à l’abordage ; car nous ne serons pas aux prises depuis une minute que, dans son impatience, il voudra tout emporter d’un coup de main[1].

— Et quel est ce matelot qui est auprès de lui, et qui paraît occupé à se dépouiller d’une partie de ses vêtemens ? demanda Wilder, entraîné par le charme que le Corsaire savait répandre sur cette aride nomenclature.

— C’est un Hollandais économe. Il calcule qu’il vaut tout autant être tué dans un vieil habit que dans un neuf, et il en a sans doute fait part à son voisin le Gascon, qui n’en est pas moins résolu à mourir décemment, si, après tout, il faut mourir. Le premier s’y est heureusement pris de bonne heure pour commencer ses préparatifs pour le combat, autrement l’ennemi pourrait nous battre avant qu’il fût prêt. Si ces deux braves champions étaient chargés de vider entre eux la querelle, le bouillant Français aurait vaincu son voisin de Hollande, avant que celui-ci crût même la bataille commencée ; mais s’il laissait passer le moment favorable, croyez-moi, le Hollandais lui donnerait du mal. Oubliez-vous, Wilder, qu’il y a eu un temps où les compatriotes de cet homme lent et lourd nettoyaient les mers avec un balai au haut de leurs mâts ?

Le Corsaire avait un sourire farouche en parlant ainsi, et il s’exprimait avec une sorte d’emphase amère. Son compagnon ne voyait cependant pas quel plaisir si grand il pouvait trouver à rappeler les triomphes d’un ennemi étranger, et il se contenta de reconnaître la vérité de ce fait historique par une simple inclination de tête. Comme s’il était même affligé de cet aveu, et qu’il voulût bannir entièrement cette réflexion mortifiante, il s’empressa de dire :

— Vous avez passé ces deux grands matelote qui observent les agrès de l’étranger avec tant de gravité.

— Ah ! oui, ils sont d’un pays auquel nous portons l’un et l’autre de l’intérêt. La mer n’est pas plus inconstante que ces coquins ne le sont dans leurs sentimens. Leurs esprits ne sont en-

  1. Ce mot est en français dans le texte pour achever le portrait de notre compatriote : nous avons eu plus d’une fois l’occasion de remarquer la disette des auteurs anglais et américains lorsqu’ils veulent décocher un trait de satire sur notre caractère national : c’est une singulière manie que de faire de nous un peuple de danseurs féroces. À cette préoccupation, il faut attribuer sans doute les portraits faux que les Anglais tracent de nous : ces portraits sont des caricatures. Heureusement il y a des peintres parmi les lions. — Éd.