Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/433

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

distinguer les cheveux gris qui flottaient sur sa tête nue ; vous savez que le ciel combat pour le parti de la justice !

Les flibustiers qu’il avait en face firent un mouvement subit et s’ouvrirent. On vit alors une nappe de flamme sortir des flancs du Dauphin, portant dans son centre une centaine d’instruments de mort qui passèrent à travers un sabord vide. Bignall faisait encore brandir son épée sur sa tête avec fureur, et on l’entendit s’écrier jusqu’à ce que la voix mourût dans son gosier : — En avant ! misérables, arrivez ! — Henry ! Henry Arche ! — Ô Dieu ! — Houra !

Il tomba comme un arbre qu’on abat, et mourut, possédant, sans le savoir, cette commission pour laquelle il avait travaillé pendant tout le cours d’une vie passée dans les fatigues et dans les dangers. Jusque alors Wilder avait maintenu sa position sur le pont, quoique pressé par une troupe aussi résolue et aussi entreprenante que la sienne ; mais en ce moment terrible de crise, on entendit s’élever dans la mêlée une voix qui fit vibrer tous ses nerfs, et qui parut même exercer son influence puissante sur l’esprit des défenseurs du Dard.

— Place ! faites-moi place ! criait-elle d’un ton sonore, retentissant et plein d’autorité ; laissez-moi passer, et suivez-moi : nulle autre main que la mienne n’abaissera cet orgueilleux pavillon.

— Courage ! mes amis, tenez ferme ! cria Wilder de son côté.

Les cris, les juremens, les imprécations et les gémissemens formaient l’accompagnement de ce combat terrible, qui se livrait avec trop de violence pour qu’il pût durer long-temps. Wilder vit avec désespoir que sa troupe ne pouvait résister au nombre et à l’impétuosité des assaillans, mais il ne cessa pourtant pas un instant de l’encourager de sa voix, et de la stimuler par son exemple.

Il vit tomber à ses pieds, l’un après l’autre, un grand nombre de ceux qui combattaient avec lui, et se trouva enfin repoussé jusqu’à l’extrémité opposée du pont. Là, il rallia encore une petite troupe qu’on attaqua plusieurs fois en vain.

— Ah ! s’écria une voix qu’il reconnut, mort à tous les traîtres ! Ouvrez-vous un chemin à travers eux, mes braves ! embrochez-le comme si c’était un chien ! Une hallebarde au héros qui lui percera le cœur.

— Taisez-vous, bavard ! répliqua la voix ferme du brave Richard ; voici un blanc et un noir à votre service, si vous avez besoin d’une broche.