Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/99

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— Qu’on l’emmène ! furent les mots terribles et retentissans qui l’empêchèrent d’en dire davantage.

Homespun disparut comme d’un coup de baguette, et le Corsaire resta de nouveau seul. Pendant long-temps rien ne troubla ses méditations. Ce calme profond, qu’une discipline ferme et soutenue peut seule commander, régnait dans le vaisseau ; un étranger assis dans la cabine, quoique entouré d’un équipage d’hommes violens et sans frein, aurait pu se croire dans la solitude d’une église déserte, tant les sons mêmes qui étaient absolument nécessaires étaient sourds et comprimés. On entendait parfois, il est vrai, la voix dure et rauque de quelque matelot en goguette qui entonnait quelque chanson de mer, et ces accens, sortant des profondeurs du vaisseau, et n’ayant rien de bien harmonieux en eux-mêmes, ressemblaient assez aux premiers sons discordans qu’un novice tire d’un cor de chasse ; mais ces interruptions même devinrent de moins en moins fréquentes et finirent par cesser tout-à-fait. Enfin le Corsaire entendit une main qui cherchait en tâtonnant la clé de la porte de la cabine, et alors le militaire reparut encore une fois.

Il y avait dans la démarche, dans l’air, dans toute la personne du général quelque chose qui annonçait que si l’entreprise qu’il venait d’exécuter avait été couronnée de succès, ce n’était pas du moins sans qu’il eût été obligé de payer de sa personne. Le Corsaire, qui s’était levé précipitamment dès qu’il l’avait vu entrer, lui demanda aussitôt son rapport.

— Le blanc est tellement ivre qu’il ne peut rester couché sans se tenir au mât ; mais le nègre est sorcier, où il a une tête de fer.

— J’espère que vous ne vous êtes pas découragé trop vite ?

— La retraite n’a pas été effectuée une minute trop tôt. J’aimerais autant tenir tête à une montagne.

Le Corsaire fixa les yeux sur le général, pour s’assurer de l’état exact où il se trouvait avant de répondre :

— C’est bien ! nous allons maintenant nous séparer jusqu’à demain.

Le général se redressa avec soin et tourna sa figure du côté de l’escalier dont nous avons eu si souvent occasion de parler. Alors, faisant en quelque sorte un effort désespéré, il essaya de marcher jusque là, la tête haute et en marquant la mesure avec ses pieds. Il fit bien un ou deux mouvemens de travers, et ses jambes se croisèrent plus d’une fois dans la traversée ; cependant, comme