Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/100

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à la longue, aurait pu lui faire oublier son origine. Il paraissait comprendre les intentions de sa douce maîtresse, et souvent il souffrait qu’elle le conduisît au milieu de ses joyeux enfants ; mais après avoir regardé un instant leurs jeux d’un air froid, il retournait à sa place chérie près des palissades. Cependant on s’apercevait, à des preuves particulières et mystérieuses, qu’il commençait à comprendre le langage qu’on parlait autour de lui et les opinions des habitants de la vallée, plus que son origine et la solitude complète dans laquelle il vivait ne semblaient le permettre. Ce fait important et inexplicable était prouvé par les regards expressifs de ses grands yeux noirs, lorsqu’on parlait devant lui de quelque chose qui avait rapport, même d’une manière détournée, à sa position, et une ou deux fois par le feu et l’expression de férocité qui animèrent son visage lorsque Ében Dudley vantaient les prouesses des blancs dans leurs rencontres avec les premiers habitants de l’Amérique. Le Puritain ne manquait jamais de prendre note de ces symptômes d’une intelligence naissante, gages de la récompense future de ses pieux travaux, et ils servaient à le consoler d’un scrupule que son zèle ne pouvait pas entièrement vaincre, celui de causer tant de souffrances à un être qui, après tout, ne lui avait fait aucun tort positif.

À l’époque dont nous nous occupons, le climat des États-Unis différait d’une manière sensible de celui qui est aujourd’hui connu de ses habitants. Un hiver dans la province de Connecticut ne se passait pas sans que la neige tombât sur la terre à diverses reprises, et ne la couvrît bientôt des masses compactes de l’élément congelé. Des dégels accidentels, des pluies d’orage, auxquels succédait le retour du froid clair et piquant qu’occasionnent les vents du nord-ouest, étendaient souvent sur la terre une glace brillante ; l’on voyait des hommes, des animaux et quelquefois des traîneaux glisser sur sa surface comme sur un lac uni. Pendant une saison aussi sévère, les infatigables habitants des frontières, ne pouvant se livrer à leurs travaux ordinaires, avaient l’habitude de poursuivre à travers la forêt le gibier, qui, conduit par la faim dans des parties du bois connues des colons, devenait facilement la proie d’hommes aussi intelligents et aussi adroits que Ében Dudley et Reuben Ring.

Lorsque les jeunes serviteurs quittaient l’habitation pour ces chasses, le captif indien prenait le plus vif intérêt à leurs