Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/222

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rait pu exposer son mari à quelque danger sérieux, et depuis plusieurs mois celui-ci avait même cessé de parler d’un sujet qui occupait les pensées de toute la famille. La voix de la nature ne s’en faisait pourtant pas moins entendre à son cœur ; ses yeux, toujours calmes et réfléchis, étaient devenus plus pensifs ; des traces plus profondes de souci s’étaient gravées sur son front ; enfin la mélancolie prit possession d’une physionomie qui était ordinairement si tranquille.

Ce fut précisément cette époque qu’Ében Dudley choisit pour faire l’aveu formel de ses sentiments à Foi, à qui il faisait la cour depuis assez longtemps à sa manière, c’est-à-dire de distance en distance. Un de ces hasards bien amenés qui procuraient de temps en temps au jeune habitant des frontières un tête-à-tête avec sa maîtresse, lui permit d’accomplir son dessein, et il s’exprima assez clairement. Foi l’écouta sans montrer aucun de ses caprices ordinaires, et lui répondit aussi franchement que le cas semblait l’exiger.

— C’est bien, Ében Dudley, lui dit-elle, et ce n’est que ce qu’une honnête fille a droit d’attendre d’un jeune homme qui a pris, comme toi, tant de moyens pour gagner ses bonnes grâces. Mais celui qui veut me charger de faire le tourment de sa vie a un devoir solennel à remplir avant que je réponde à ses désirs.

— J’ai été dans les villes situées plus bas dans le pays, et j’y ai vu leurs manières de vivre ; j’ai été au-delà des frontières de la colonie pour retenir les Indiens dans leurs wigwams, lui répondit son amant, voulant lui prouver qu’il avait fait tous les exploits qu’on pouvait raisonnablement attendre d’un homme décidé à se lancer sur la mer hasardeuse du mariage. J’ai presque conclu le marché avec le jeune capitaine pour le lot de terre sur la montagne et pour un terrain dans le village ; et comme les voisins ne se feront pas tirer l’oreille pour m’aider, je ne vois rien qui…

— Tu te trompes, Dudley, si tu crois que tes yeux puissent voir ce que tu dois faire avant qu’une seule et même fortune devienne ta propriété et la mienne. As-tu remarqué comme les joues de madame ont pâli, comme ses yeux sont devenus creux depuis que le marchand de pelleteries a passé par ici la semaine du grand orage ?

— Je ne puis dire que j’aie remarqué beaucoup de changement dans l’extérieur de madame, autant que je puis m’en souvenir,