Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/254

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qu’une affreuse vérité. Vois Whittal Ring, il était encore jeune quand nous l’avons perdu : le voici de retour, et nous trouvons en lui un homme, un sauvage. Non, non, ma sœur n’est plus l’enfant à qui j’aimais à penser : elle est devenue femme aussi bien que toi.

— Tu es injuste à son égard, tandis que tu penses avec trop d’indulgence à d’autres pour qui la nature avait été moins libérale. Tu dois te rappeler, Mark, qu’elle avait des traits plus agréables qu’aucune des jeunes filles de son âge que nous connaissions alors.

— Je n’en sais rien, — je ne dis pas cela, — je ne le pense pas ; mais quand elle serait ce que les fatigues et les injures du temps peuvent l’avoir rendue, Ruth Heathcote est encore bien au-dessus des habitantes du wigwam d’un Indien. Oh ! il est horrible de penser qu’elle est la servante, l’esclave, peut-être la femme d’un sauvage

Marthe tressaillit. Il était évident que cette dernière idée, cette idée révoltante se présentait à son esprit pour la première fois ; et le plaisir innocent que goûtait sa petite vanité satisfaite fit place sur-le-champ à ce sentiment de compassion si naturel au cœur d’une femme.

— Cela est impossible ! murmura-t-elle enfin après une minute de silence ; cela ne peut jamais être ! — Notre Ruth doit se rappeler encore les leçons qu’elle a reçues dans son enfance. — Elle sait qu’elle est née chrétienne et d’une famille respectable. Elle connaît les espérances élevées et les promesses glorieuses de sa religion.

— Tu vois par l’exemple de Whittal, qui est plus âgé, à quoi peut servir ce qu’on a appris, quand on vit avec les sauvages.

— Mais Whittal est dépourvu des dons de la nature, il a toujours été au-dessous du reste des hommes du côté de l’intelligence.

— Et pourtant à quel degré n’a-t-il pas déjà acquis l’astuce des Indiens !

— Mais, Mark, répliqua sa compagne avec un air de timidité, comme si elle eût senti toute la force de ce raisonnement, et qu’elle n’eût cherché à le combattre que par compassion pour les sentiments d’un frère, nous avons, ta sœur et moi, le même nombre d’années, pourquoi ce qui m’est arrivé ne peut-il être aussi le sort de notre Ruth ?