Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/305

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regards n’exprimèrent plus que l’ironie et le mépris le plus amer.

— Mon frère désire-t-il encore connaître ce que je vois ? demanda-t-il lorsqu’il se fut écoulé assez de temps après la question de la jeune femme pour prouver que son compagnon n’était pas disposé à répondre.

— Qu’est-ce que le sachem des Wampanoags contemple maintenant ? reprit Conanchet avec fierté, ne désirant point avouer qu’aucune circonstance extraordinaire eût interrompu leur conférence.

— Un coup d’œil que les yeux ne veulent pas croire ; il voit une grande tribu sur le sentier de la guerre ; il y a bien des braves et un chef dont les pères viennent des nuages : leurs mains sont dans les airs, ils frappent des coups pesants, la flèche est prompte ; on ne voit pas la balle pénétrer, mais elle tue ; le sang coule des blessures ; il est de la couleur de l’eau. Maintenant il ne voit plus, il entend ; c’est le cri de carnage, et les guerriers sont contents. Les chefs, dans les terres heureuses, viennent avec joie recevoir les Indiens qui ont été tués, car ils reconnaissent le cri de carnage de leurs enfants.

Les traits expressifs du guerrier brillaient tandis que son esprit suivait avec un plaisir involontaire cette description du combat qui venait d’avoir lieu ; le sang se précipitait vers son cœur, qui battait toujours d’une ardeur guerrière.

— Que voit encore mon père ? demanda-t-il, sa voix prenant insensiblement les accents du triomphe.

— Un messager… puis il entend… les moccasins des femmes.

— Assez, Metacom ; les femmes des Narragansetts n’ont plus de huttes, leur village est en cendres, et elles suivent les jeunes gens pour avoir de la nourriture.

— Je ne vois point de daims ; le chasseur ne trouvera pas de venaison dans le défrichement des visages pâles. Mais le grain est plein de lait ; Conanchet a faim ; il a envoyé chercher sa femme afin qu’elle lui serve à manger !

Les doigts de la main du jeune chef qui avait saisi la poignée du tomahawk semblèrent s’enfoncer dans le bois. La brillante hache elle-même fut légèrement soulevée ; mais l’expression de ressentiment du jeune chef s’évanouit en même temps que sa colère ; et, prenant un maintien calme et digne :

— Va, Wampanoag, dit-il en étendant la main avec fierté,