Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/307

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veux dont il était entouré, la jeune femme étonnée retourna pensive et silencieuse à sa première place.

— C’est un village des Yengeeses, dit-elle après un long silence. Une femme narragansett n’aime pas à voir les huttes de la race abhorrée.

— Écoute. Les mensonges ne sont jamais entrés dans les oreilles de Narra-Mattah. Ma langue a parlé comme la langue d’un chef. Tu n’es pas venue du sumac, mais de la neige ; ta main n’est pas comme la main des femmes de ma tribu ; elle est petite, parce que le Grand-Esprit ne l’a pas faite pour le travail ; elle est de la couleur des nuages du matin, parce que tes pères sont nés près du lieu où le soleil se lève. Ton sang est comme l’eau d’une source. Tu sais tout cela, car personne ne t’a fait entendre un mensonge. Parle : n’as-tu jamais vu le wigwam de ton père ? sa voix ne murmure-t-elle pas à les oreilles dans le langage de son peuple ?

La jeune femme avait pris cette attitude qu’on peut supposer à une sibylle lorsqu’elle écoute les ordres occultes du mystérieux oracle.

— Pourquoi Conanchet fait-il ces questions à sa femme ? demanda-t-elle. Il sait ce qu’elle sait, il voit ce qu’elle voit, sa pensée est ma pensée. Si le Grand-Esprit a fait sa peau d’une couleur différente de la sienne, il a fait son cœur semblable au sien. Narra-Mattah ne veut point écouter le langage du mensonge. Elle ferme l’oreille, car il y a de la fausseté jusque dans ses accents ; elle essaie de l’oublier. Notre langage peut exprimer tout ce qu’elle souhaite de dire à Conanchet ; pourquoi se rappellerait-elle ses songes lorsqu’un grand chef est son mari ?

Les regards du guerrier, en s’arrêtant sur le visage charmant et rempli de confiance de celle qui lui parlait, annonçaient la plus vive tendresse. La fierté avait abandonné son front ; elle était remplacée par la plus douce affection. Ce sentiment appartenant à la nature, on en voit souvent l’expression dans le regard d’un Indien, aussi forte qu’elle peut jamais l’être lorsqu’elle embellit la vie d’êtres plus civilisés.

— Jeune fille, dit-il avec emphase après un moment de silence, comme s’il voulait se rappeler à lui-même et à elle un devoir plus important, ceci est le sentier de la guerre ; tous ceux qui s’y trouvent sont des hommes. Tu ressemblais au pigeon qui n’a pas encore ouvert ses ailes lorsque je arrachai de ton nid.