Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/309

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ragansetts ne peuvent pas voir. Elle voit une femme avec une peau blanche, dans ses rêves ; ses regards sont arrêtés doucement sur son enfant ; ce n’est point seulement un œil, c’est une langue ! Elle dit : que souhaite la femme de Conanchet ? A-t-elle froid ? voilà des fourrures ; a-t-elle faim ? voilà du gibier ; est-elle fatiguée ? les bras de la femme pâle s’ouvrent afin que la fille indienne puisse y dormir. Quand le silence règne dans la hutte, lorsque Gonanchet et ses jeunes gens sont endormis, c’est alors que cette femme pâle parle, sachem ; elle ne parle pas des combats de son peuple, ni des chevelures que ses guerriers ont enlevées, ni des craintes que sa tribu inspire aux Pequots et aux Mohicans ; elle ne dit pas comment une jeune Narragansett doit obéir à son mari, ni comment les femmes doivent conserver de la nourriture dans leurs huttes pour les chasseurs lorsqu’ils sont fatigués. Sa langue prononce d’étranges paroles ; elle nomme un esprit puissant et juste qui parle de paix et non pas de guerre. C’est comme le son qui vient des nuages, c’est comme le bruit de l’eau qui tombe parmi les rochers. Narra-Mattah aime à l’écouter, car cette voix lui paraît douce comme celle du Wish-ton-Wish lorsqu’il siffle au milieu des bois.

Conanchet avait arrêté un regard rempli d’affection sur celle qui était debout devant lui. Elle avait parlé avec cette ardeur, cette éloquence naturelle qu’aucun art ne peut égaler ; et lorsque Narra-Mattah eut cessé de se faire entendre, il répondit en posant une main sur la tête à demi inclinée de la jeune femme.

— C’est l’oiseau de la nuit qui appelle ses petits, dit Conanchet avec tendresse et mélancolie : Le Grand-Esprit de tes pères est en courroux parce que tu habites la hutte d’un Narragansett. Sa vue est trop perçante pour être trompée. Il sait que les moccasins, les wampums et la robe de fourrure mentent ; ces choses-là ne l’empêchent pas de voir la couleur de la peau.

— Non, Conanchet, dit la jeune femme avec précipitation et avec une fermeté que sa timidité ne donnait pas lieu d’attendre d’elle, il voit plus loin que la peau, et distingue la couleur de l’esprit ; il a oublié qu’une de ses filles est perdue.

— Il n’en est point ainsi. L’aigle de mon peuple fut pris dans les huttes des visages pâles. Il était jeune, et on lui apprit à parler une autre langue. La couleur de ses plumes fut changée, et ils pensèrent tromper Manitou. Mais lorsque la porte fut ouverte, il ouvrit ses ailes et vola vers son nid. Il n’en est point ainsi. Ce