Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/311

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elle n’osait se livrer à tout son espoir. L’imagination lui avait toujours représenté son enfant dans l’état d’innocence, telle qu’elle avait été arrachée de ses bras ; et bien qu’elle trouvât devant elle de quoi répondre à ses espérances, ce n’était pas l’image qu’elle conservait dans son cœur depuis longtemps. Cette illusion, si l’on peut appeler ainsi un sentiment naturel, était trop profondément enracinée pour être détruite par un simple regard. Ruth tenait les deux mains de l’étrangère, elle la contemplait en silence, et ses traits changeaient en même temps que ses sentiments. Elle semblait craindre qu’elle ne lui échappât, et cependant elle n’osait la presser sur un cœur qui pouvait appartenir à une autre.

— Qui es-tu ? demanda la mère avec un accent dans le tremblement duquel on reconnaissait toutes les émotions de ce sacré caractère. Parle, être mystérieux et charmant, qui es-tu ?

Narra-Mattah tourna ses regards effrayés et suppliants vers le chef, calme et impassible, comme si elle cherchait la protection dans les bras où elle était habituée à la recevoir. Mais une sensation différente s’empara d’elle au moment où elle entendit une voix qui avait trop souvent frappé son oreille pendant son enfance pour être oubliée. Ses efforts cessèrent, et sa taille flexible prit l’attitude de la plus profonde attention. Sa tête était penchée de côté, comme si son oreille attendait encore des accents de la douce voix, tandis que ses regards joyeux étaient toujours arrêtés sur le visage de son mari.

— Vision des bois ! ne répondras-tu pas ? continua Ruth ; s’il y a dans ton cœur quelque respect pour le saint d’Israël, réponds, que je puisse te connaître !

— Conanchet, dit Narra-Mattah, sur le visage de laquelle on voyait augmenter la joie et la surprise ; approche-toi, sachem, l’Esprit qui parle à Narra-Mattah dans ses rêves est auprès d’elle.

— Femme du Yengeese, dit l’Indien avec dignité en s’approchant, que le nuage s’écarte de tes yeux. Femme du Narragansett ! vois plus clairement, le Manitou de votre race parle haut ; il dit à une mère de reconnaître sa fille !

Ruth n’hésita pas plus longtemps ; aucune exclamation ne lui échappa, mais en pressant fortement sa fille contre son sein, on eût dit qu’elle cherchait à réunir leurs deux âmes. Un cri d’étonnement et de plaisir se fit entendre autour d’elle. Alors se montra