Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/332

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excepté le même langage et la même origine. Il faut espérer qu’un peu de charité se joindra à ces liens.

Les habitudes sévères des religionnaires, dans toutes les provinces, étaient en opposition avec les plus simples délassements de la vie. Les arts n’étaient permis que dans un but utile. Chez eux, la musique était réservée pour le service de Dieu, et pendant longtemps une chanson n’avait jamais distrait l’esprit de ce qui était regardé comme l’objet le plus important de l’existence. Aucun vers n’était chanté, excepté ceux qui mêlaient des idées saintes au plaisir de l’harmonie, et l’on n’entendit jamais les sons de la débauche dans les limites de leurs demeures. Des mots adaptés à la condition particulière des habitants de cette province avaient été adoptés, et quoique la poésie ne fût un don ni commun ni brillant parmi un peuple habitué aux pratiques ascétiques, elle parla de bonne heure dans les pièces de vers qui étaient destinées, bien qu’il soit pardonnable de douter de leur succès, à célébrer la gloire de la Divinité. Par une conséquence naturelle de cette pieuse pratique, on avait arrangé quelques-unes de ces chansons spirituelles à l’usage des femmes qui berçaient leurs enfants.

Lorsque Ruth Heathcote appuya son front sur sa main, ce fut avec la pénible conviction que son empire sur l’esprit de sa fille était bien affaibli, s’il n’était pas perdu à jamais. Mais les efforts de l’amour maternel ne se découragent pas facilement. Une pensée frappa l’esprit de Ruth, et elle essaya aussitôt l’expérience qu’elle lui suggéra. La nature l’avait douée d’une voix mélodieuse et d’un goût instinctif : elle savait moduler les sons pour les faire parvenir jusqu’au cœur ; elle possédait le génie de la musique, qui est la mélodie dépouillée des ornements de ce qu’on appelle la science. Attirant sa fille plus près d’elle encore, elle commença une de ces chansons en usage parmi les mères de la colonie. Les premiers sons s’élevèrent à peine au-dessus du murmure de l’air du soir, puis ils acquirent bientôt cette plénitude et cette correction qu’un air si simple exigeait.

Pendant les premières paroles de cette chanson, Narra-Mattah prêta la plus vive attention. On eût dit que ses formes gracieuses venaient d’être changées en marbre. Mais le plaisir brillait dans ses yeux, et, avant que le second vers fût terminé, il n’était aucun de ses traits qui n’exprimât vivement le charme où elle était plongée. Ruth ne faisait pas cette expérience sans trembler sur