Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/363

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manifesté une généreuse pitié que d’avoir commis une action cruelle.

Pendant les deux ou trois heures qui s’écoulèrent au milieu de ces circonstances solennelles, Conanchet était assis sur un rocher, spectateur attentif de tout ce qui se passait, mais en apparence impassible. Son regard était doux, et de temps en temps mélancolique ; mais son calme et sa dignité ne se démentaient pas. Lorsque sa sentence lui fut annoncée, son visage ne changea pas, et il vit le départ des hommes blancs avec la tranquillité qu’il avait toujours montrée : ce ne fut que lorsque Uncas s’approcha, suivi de sa troupe et de deux colons qui étaient restés près de lui, que son courage sembla faiblir.

— Mon peuplé a dit qu’il n’y aurait plus de loup dans les bois, dit Uncas, et il a commandé à nos jeunes gens de tuer le plus affamé de tous.

— C’est bien, répondit froidement le jeune sachem.

Un sentiment d’admiration, et peut-être d’humanité, brilla sur le sombre visage d’Uncas lorsqu’il regarda la tranquillité qui régnait sur les traits de sa victime.

Pendant un instant ses desseins changèrent.

— Les Mohicans sont une grande tribu, dit-il, et la race d’Uncas diminue. Nous peindrons notre frère, afin que les menteurs Narragansetts ne le reconnaissent plus, et il sera un guerrier du continent.

L’humanité de son ennemi produisit une profonde impression sur l’esprit généreux de Conanchet. La fierté déserta son front, ses regards devinrent plus doux. Pendant une minute une pensée pénible l’occupa entièrement ; les muscles de ses lèvres s’agitèrent, mais leur contraction était à peine visible ; enfin il prononça ces mots :

— Mohican, pourquoi tes jeunes gens se hâteraient-ils ? Ma chevelure sera celle d’un grand chef demain. Ils n’en auraient pas deux s’ils frappaient leur prisonnier aujourd’hui.

— Conanchet n’est pas prêt : aurait-il oublié quelque chose ?

— Sachem, il est toujours prêt… Mais… Conanchet s’arrêta un instant, puis ajouta d’une voix émue : Un Mohican est-il seul ?

— Combien de soleils le Narragansett demande-t-il ?

— Un seul : lorsque l’ombre de ce pin se dirigera vers le ruisseau, Conanchet sera prêt. Il se rendra sous son ombrage les mains désarmées.