Page:Coppée - Œuvres complètes, Prose, t1, 1892.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vint chez sa mère par le boulevard Saint-Michel, désert et inondé de clair de lune.

Il éprouva tout à coup un profond abattement. Il était mécontent de lui. Il trouvait qu’Eugénie avait été glaciale, et il s’accusait d’avoir été stupide ; il avait presque envie de pleurer.

A la hauteur du musée de Gluny, devant une boutique de journaux, il traversa des groupes dont l’aspect lui parut sinistre. Des bourgeois, des étudiants et des hommes du peuple se parlaient tout bas, d’un air sombre. Machinalement, il s’arrêta pour écouter.

Wissembourg ! Le général Douay surpris et tué ! Les turcos écrasés après des prodiges de valeur ! Le territoire envahi ! Voilà ce que Gabriel apprit en quelques phrases jetées par des voix farouches.

Il n’était pas un égoïste ; il aimait son pays tout comme un autre, et cette terrible nouvelle dissipa d’abord sa langueur amoureuse. Mais une fois rentré dans sa chambre et couché dans son petit lit, une fois sa bougie éteinte, et à ce moment où les habitants de Paris songeaient au massacre de toute une division, au sang répandu de tant de Français, Gabriel, à la pensée de qui revint s’imposer le souvenir de la femme déjà désirée, revoyait