Page:Corday - La Vie amoureuse de Diderot.djvu/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à son foyer ? Non. Il faut qu’il élargisse encore son étreinte. Il faut qu’il aide son prochain, il faut qu’il se jette à son secours.

Ce généreux élan l’entraînait dès l’enfance. À peine entré chez les Jésuites, à Paris, il voit un camarade embarrassé de son devoir. On le serait à moins : il s’agit de mettre en vers le discours que tient à Ève le serpent de l’Écriture. Denis Diderot s’offre à la besogne. Mais la perfection même du devoir révèle la supercherie. Le camarade est pressé par ses maîtres : ou bien il sera expulsé, ou bien il nommera l’auteur du chef-d’œuvre. Il le dénonce. Tous deux reçoivent la plus verte semonce. Mais Diderot n’est pas guéri de sa bienfaisance.

Sa jeunesse besogneuse fortifia encore son instinct charitable. Le jour où, défaillant de faim, il dut se contenter d’une rôtie trempée dans du vin, il se jura « d’épargner à son semblable une journée aussi pénible ». Toute sa vie, il restera fidèle à son serment. Et, tout près de disparaître, cinquante ans plus tard, il écrira à Mme Necker : « Les plaintes des malheureux remueraient mes cendres au fond du tombeau. »