Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1.djvu/207

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des rois, qu’ils voyaient avec plaisir des crimes dans les plus innocents de leur race. Pour rectifier ce sujet à notre mode, il faudrait qu’Oreste n’eût dessein que contre Egisthe ; qu’un reste de tendresse respectueuse pour sa mère lui en fît remettre la punition aux Dieux ; que cette reine s’opiniâtrât à la protection de son adultère, et qu’elle se mît entre son fils et lui si malheureusement qu’elle reçût le coup que ce prince voudrait porter à cet assassin de son père. Ainsi elle mourrait de la main de son fils, comme le veut Aristote, sans que la barbarie d’Oreste nous fît horreur, comme dans Sophocle, ni que son action méritât des Furies vengeresses pour le tourmenter, puisqu’il demeurerait innocent.

Le même Aristote nous autorise à eu user de cette manière, lorsqu’il nous apprend que le poète n’est pas obligé de traiter les choses comme elles se sont passées, mais comme elles ont pu ou dû se passer, selon le vraisemblable ou le nécessaire. Il répète souvent ces derniers mots, et ne les explique jamais. Je tâcherai d’y suppléer au moins mal qu’il me sera possible, et j’espère qu’on me pardonnera si je m’abuse.

Je dis donc premièrement que cette liberté qu’il nous laisse d’embellir les actions historiques par des inventions vraisemblables n’emporte aucune défense de nous écarter du vraisemblable dans le besoin. C’est un privilège qu’il nous donne, et non pas une servitude qu’il nous impose : cela est clair par ses paroles mêmes. Si nous pouvons traiter les choses selon le vraisemblable ou selon le nécessaire, nous pouvons quitter le vraisemblable pour