Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 10.djvu/317

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Les rois savent agir tout autrement que nous :
Souvent sans être en vue ils frappent les grands coups. 20
Dieu lui-même, ce Dieu dont ils sont les images,
De son trône en repos fait partir les orages,
Et jouit dans le ciel de sa gloire et de soi,
Tandis que sur la terre il remplit tout d’effroi.
Mon prince en use ainsi : ses fêtes de Versailles[1] 25
Lui servent de prélude à gagner des batailles,
Et d’un plaisir pompeux l’éclat rejaillissant
Dissipe vos projets en le divertissant.
Muses, l’aviez-vous cru, vous qui faites les vaines
De prévoir l’avenir des fortunes humaines, 30
D’en percer le plus sombre et le plus épineux ?
Aviez-vous deviné que ce parc lumineux,
Ces belles nuits sans ombre, avec leurs jours d’applique[2],
Préparoient à vos chants un objet héroïque ?

  1. Il existe une relation fort détaillée de ces fêtes sous le titre suivant : les Divertissemens de Versailles donnez par le Roy à toute sa Cour, au retour de la conqueste de la Franche-Comté, en l’année 1674, aux pages 391-458 d’un Recueil de descriptions de peintures et d’autres ouvrages faits pour le Roy (par Félibien), à Paris, chez la veuve Sébastien Mabre-Cramoisy, M.DC.LXXXIX, in-12. Cette relation est divisée en six journées, comprenant les 4, 11, 19 et 28 juillet et les 18 et 31 août 1674. Les cinq premières journées se terminèrent par des représentations dramatiques, dans lesquelles on joua, entre autres ouvrages, l’Alceste de Quinault, le Malade imaginaire de Molière, et l’Iphigénie de Racine ; le 18 août il y eut après le spectacle un grand feu d’artifice sur le canal ; enfin le 31 août le sieur Vigarani en illumina tous les bords. « Ce qui donnoit tant de jour à ces superbes décorations pendant une nuit si obscure, dit Félibien, c’est qu’il y avoit plus de vingt mille lumières, sans compter plus de quatre mille autres feux qui éclairoient les fontaines et les parterres du petit parc. » (Page 458.)
  2. On appelle applique tout ouvrage par lequel on applique, on enchâsse une chose sur une autre. « Les jours d’applique » sont des jours artificiels produits par des appareils d’illumination. Voyez le Lexique.