Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 2.djvu/242

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55Et de peur que le temps n’emporte ses ferveurs[1],
Le combler chaque jour de nouvelles faveurs ;
Notre âme, s’il s’éloigne, est chagrine, abattue[2] ;
Sa mort nous désespère et son change nous tue,
Et de quelque douceur que nos feux soient suivis,
60On dispose de nous sans prendre notre avis ;
C’est rarement qu’un père à nos goûts s’accommode,
Et lors juge quels fruits on a de ta méthode.
Pour moi, j’aime un chacun, et sans rien négliger,
Le premier qui m’en conte a de quoi m’engager :
65Ainsi tout contribue à ma bonne fortune ;
Tout le monde me plaît, et rien ne m’importune.
De mille que je rends l’un de l’autre jaloux,
Mon cœur n’est à pas un, et se promet à tous[3] ;
Ainsi tous à l’envi s’efforcent à me plaire ;
70Tous vivent d’espérance, et briguent leur salaire ;
L’éloignement d’aucun ne sauroit m’affliger,
Mille encore présents m’empêchent d’y songer.
Je n’en crains point la mort, je n’en crains point le change ;
Un monde m’en console aussitôt ou m’en venge[4].
75Le moyen que de tant et de si différents
Quelqu’un n’ait assez d’heur pour plaire à mes parents ?
Et si quelque inconnu m’obtient d’eux pour maîtresse[5],
Ne crois pas que j’en tombe en profonde tristesse :

  1. Var. Et de peur que le temps ne lâche ses ferveurs. (1637)
  2. Var. Notre âme, s’il s’éloigne, est de deuil abattue. (1637-57)
  3. Var. Mon cœur n’est à pas un en se donnant à tous ;
    Pas un d’eux ne me traite avecque tyrannie,
    Et mon humeur égale à mon gré les manie :
    Je ne fais pas à un tenir lieu de mignon,
    Et c’est à qui l’aura dessus son compagnon.
    Ainsi tous à l’envie s’efforcent de me plaire (a). (1637-57)

    (a) Les éditions de 1637-48 donnent : à me plaire, comme l’édition de 1682.

  4. Les éditions de 1644, de 1652 et de 1657 portent, par erreur sans doute, on m’en venge.
  5. Var. Et si leur choix fantasque un inconnu m’allie,
    Ne crois pas que pourtant j’entre en mélancolie. (1635)