Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 2.djvu/290

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Scène V.

ALIDOR.

On l’enlève, et mon cœur, surpris d’un vain regret,
1000Fait à ma perfidie un reproche secret ;
Il tient pour Angélique, il la suit, le rebelle !
Parmi mes trahisons il veut être fidèle ;
Je le sens, malgré moi de nouveaux feux épris[1],
Refuser de ma main sa franchise à ce prix,
1005Désavouer mon crime, et pour mieux s’en défendre,
Me demander son bien, que je cède à Cléandre.
Hélas ! qui me prescrit cette brutale loi
De payer tant d’amour avec si peu de foi ?
Qu’envers cette beauté ma flamme est inhumaine !
1010Si mon feu la trahit, que lui feroit ma haine ?
Juge, juge, Alidor, en quelle extrémité
La va précipiter ton infidélité[2].
Écoute ses soupirs, considère ses larmes,
Laisse-toi vaincre enfin à de si fortes armes[3] ;
1015Et va voir si Cléandre, à qui tu sers d’appui[4],
Pourra faire pour toi ce que tu fais pour lui.
Mais mon esprit s’égare, et quoi qu’il se figure,
Faut-il que je me rende à des pleurs en peinture,
Et qu’Alidor, de nuit plus faible que de jour,
1020Redonne à la pitié ce qu’il ôte à l’amour ?
Ainsi donc mes desseins se tournent en fumée !
J’ai d’autres repentirs que de l’avoir aimée !

  1. Var. Je le sens refuser sa franchise à ce prix ;
    [Je le sens, malgré moi de nouveaux feux épris.] (1637-57)
  2. Var. Ne la va point jeter ton infidélité. (1637-57)
  3. Var. Et laisse-toi gagner à de si fortes armes. (1637)
    Var. Et te laisse enfin vaincre à de si fortes armes. (1644-57)
  4. Var. Cours après elle, et vois si Cléandre aujourd’hui. (1637-57)