Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 2.djvu/305

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Mais, hélas ! ma raison est-elle assez hardie
1315Pour croire qu’on me souffre après ma perfidie ?
Quelque secret instinct, à mon bonheur fatal,
Ne la porte-t-il point à me vouloir du mal[1] ?
Que de mes trahisons elle seroit vengée,
Si, comme mon humeur, la sienne étoit changée !
1320Mais qui la changeroit, puisqu’elle ignore encor
Tous les lâches complots du rebelle Alidor ?
Que dis-je, malheureux ? ah ! c’est trop me méprendre[2],
Elle en a trop appris du billet de Cléandre :
Son nom au lieu du mien en ce papier souscrit
1325Ne lui montre que trop le fond de mon esprit.
Sur ma foi toutefois elle le prit sans lire ;
Et si le ciel vengeur contre moi ne conspire[3],
Elle s’y fie assez pour n’en avoir rien lu.
Entrons, quoi qu’il en soit, d’un esprit résolu[4] ;
1330Dérobons à ses yeux le témoin de mon crime ;
Et si pour l’avoir lu sa colère s’anime[5],
Et qu’elle veuille user d’une juste rigueur,
Nous savons les moyens de regagner son cœur[6].

    Je ne m’obstine plus à mériter sa haine :
    Je me sens trop heureux d’une si belle chaîne ;
    Ce sont traits d’esprit fort que d’en vouloir sortir,
    Et c’est où ma raison ne peut plus consentir.
    [Mais, hélas ! ma raison est-elle assez hardie]
    Pour me dire qu’on m’aime après ma perfidie ? (1637-57)

  1. Var. Porte-t-il point ma belle à me vouloir du mal ? (1637-57)
  2. Var. Que dis-je, misérable ? ah ! c’est trop me méprendre. (1637-57)
  3. Var. Et si le ciel vengeur comme moi ne conspire. (1637 et 48-54)
  4. Var. Entrons à tous hasards d’un esprit résolu. (1637-57)
  5. Var. Que si pour l’avoir lu sa colère s’anime. (1637-57)
    Var. Ou si pour l’avoir lu sa colère s’anime. (1660)
  6. Var. Nous savons les chemins de regagner son cœur. (1637-57)
    Var. Cherchons quelques moyens de regagner son cœur. (1660-64)