Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/104

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leur force pour en triompher plus glorieusement, a quelque chose de plus touchant, de plus élevé et de plus aimable que cette médiocre bonté, capable d’une foiblesse, et même d’un crime, où nos anciens étoient contraints d’arrêter le caractère le plus parfait des rois et des princes dont ils faisoient leurs héros, afin que ces taches et ces forfaits, défigurant ce qu’ils leur laissoient de vertu, s’accommodassent au goût et aux souhaits de leurs spectateurs, et fortifiassent[1] l’horreur qu’ils avoient conçue de leur domination et de la monarchie.

Rodrigue suit ici son devoir sans rien relâcher de sa passion ; Chimène fait la même chose à son tour, sans laisser ébranler son dessein par la douleur où elle se voit abîmée par là ; et si la présence[2] de son amant lui fait faire quelque faux pas, c’est une glissade dont elle se relève à l’heure même ; et non-seulement elle connoît si bien sa faute qu’elle nous en avertit, mais elle fait un prompt désaveu de tout ce qu’une vue si chère lui a pu arracher. Il n’est point besoin qu’on lui reproche qu’il lui est honteux de souffrir l’entretien de son amant après qu’il a tué son père ; elle avoue que c’est la seule prise que la médisance aura sur elle. Si elle s’emporte jusqu’à lui dire qu’elle veut bien qu’on sache qu’elle l’adore et le poursuit, ce n’est point une résolution si ferme, qu’elle l’empêche de cacher son amour de tout son possible lorsqu’elle est en la présence du Roi. S’il lui échappe de l’encourager au combat contre don Sanche par ces paroles :

Sors vainqueur d’un combat dont Chimène est le prix[3],
  1. Toutes les éditions, jusqu’à celle de 1692, qui, la première, met les deux verbes au pluriel, donnent s’accommodastet fortifiast.
  2. Var. (édit. de 1660) : par la douleur où il l’abîme ; et si la présence, etc.
  3. Vers 1556.