Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/166

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Chimène.

Ma Chimène… Ôte-moi cet objet odieux,
Qui reproche ton crime et ta vie à mes yeux.

Don Rodrigue.

Regarde-le plutôt pour exciter ta haine,
Pour croître ta colère, et pour hâter ma peine.

Chimène.

Il est teint de mon sang.

Don Rodrigue.

Il est teint de mon sang. Plonge-le dans le mien,
Et fais-lui perdre ainsi la teinture du tien.

Chimène.

Ah ! quelle cruauté, qui tout en un jour tue
Le père par le fer, la fille par la vue !
Ôte-moi cet objet, je ne puis le souffrir :
Tu veux que je t’écoute, et tu me fais mourir !

Don Rodrigue.

Je fais ce que tu veux, mais sans quitter l’envie
De finir par tes mains ma déplorable vie ;
Car enfin n’attends pas de mon affection
Un lâche repentir d’une bonne action.
L’irréparable effet d’une chaleur trop prompte[1]
Déshonoroit mon père, et me couvroit de honte.
Tu sais comme un soufflet touche un homme de cœur ;
J’avois part à l’affront, j’en ai cherché l’auteur :
Je l’ai vu, j’ai vengé mon honneur et mon père ;
Je le ferois encor, si j’avois à le faire.
Ce n’est pas qu’en effet contre mon père et moi
Ma flamme assez longtemps n’ait combattu pour toi ;
Juge de son pouvoir : dans une telle offense
J’ai pu délibérer si j’en prendrois vengeance[2].

  1. Var. De la main de ton père un coup irréparable
    ---Déshonoroit du mien la vieillesse honorable. (1637-56)
  2. Var. J’ai pu douter encor si j’en prendrois vengeance. (1637-60)