Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/167

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Réduit à te déplaire, ou souffrir un affront,
J’ai pensé qu’à son tour mon bras étoit trop prompt[1] ;
Je me suis accusé de trop de violence ;
Et ta beauté sans doute emportoit la balance,
À moins que d’opposer à tes plus forts appas[2]
Qu’un homme sans honneur ne te méritoit pas ;
Que malgré cette part que j’avois en ton âme[3],
Qui m’aima généreux me haïroit infâme ;
Qu’écouter ton amour, obéir à sa voix,
C’étoit m’en rendre indigne et diffamer ton choix.
Je te le dis encore ; et quoique j’en soupire[4],
Jusqu’au dernier soupir je veux bien le redire :
Je t’ai fait une offense, et j’ai dû m’y porter
Pour effacer ma honte, et pour te mériter ;
Mais quitte envers l’honneur, et quitte envers mon père,
C’est maintenant à toi que je viens satisfaire :
C’est pour t’offrir mon sang qu’en ce lieu tu me vois.
J’ai fait ce que j’ai dû[5], je fais ce que je dois.
Je sais qu’un père mort t’arme contre mon crime ;
Je ne t’ai pas voulu dérober ta victime :
Immole avec courage au sang qu’il a perdu
Celui qui met sa gloire à l’avoir répandu.

Chimène.

Ah ! Rodrigue, il est vrai, quoique ton ennemie,
Je ne te puis blâmer d’avoir fui l’infamie[6] ;
Et de quelque façon qu’éclatent mes douleurs,
Je ne t’accuse point, je pleure mes malheurs.

  1. Var. J’ai retenu ma main, j’ai cru mon bras trop prompt. (1637-56)
  2. Var. Si je n’eusse opposé contre tous tes appas. (1637-56)
  3. Var. Qu’après m’avoir chéri quand je vivois sans blâme. (1637-56)
  4. Var. Je te le dis encore, et veux, tant que j’expire,
    SaSans cesse le penser et sans cesse le dire. (1637-56)
  5. On lit dans l’édition de 1660 : « J’y fais ce que j’ai dû, » ce qui est sans doute une faute d’impression.
  6. Var. Je ne te puis blâmer d’avoir fui l’infamie. (1637-44 in-4o et 48-56)