Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/234

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scènes suivantes chez les deux poëtes. Comment faire bien voir dans le texte étranger la légèreté un peu molle des touches lorsqu’elles sont justes, opposée à la vigueur des tons qui les reproduisent, et le tour un peu frivole de ces subtilités de sentiment qui, dans Corneille, s’élèvent jusqu’à une sorte de vérité passionnée en harmonie avec l’excès de la douleur et les perplexités d’une situation si étrange ? Le poëte méridional et son auditeur cherchent avant tout dans cette étrange situation et dans ces antithèses un amusement auquel se mêle sans doute un peu de sympathie : le poëte normand et son spectateur veulent trouver en un tout autre tempérament d’esprit l’admiration et les larmes. Celui-ci soutient la grande déclamation tragique et la prolonge avec force, là où l’autre s’est borné à une élégante série de madrigaux, qui ont le malheur de rester jolis, même quand ils sont assez touchants.

Dans cette confidence éplorée que fait à Elvire la Chimène du Cid françois, il y a bien treize vers espagnols rapportés comme traduits ; on peut y retrouver même une certaine littéralité, et c’est là pourtant que la différence se fait le mieux sentir. Contentons-nous d’une juste observation de la Beaumelle, en réponse à la plus fausse remarque de Voltaire, à cet endroit :


elvire.


« … Après tout, que pensez-vous donc faire ?

chimène.


Pour conserver ma gloire et finir mon ennui,

Le poursuivre, le perdre, et mourir après lui[1]. »


Les vers espagnols, cités en partie par Corneille, mais intervertis par lui à tort, sont ainsi disposés dans le texte :


elvira.


Pues como harás, no lo entiendo,
estimando el matador
y el muerto ? — Xim. Tengo valor,
y habré de matar muriendo[2].
y Seguirele hasta vengarme


rodrigo.


Mejor es que mi amor firme,
te décon rendirme,
te dé el gusto de matarme

sin la pena del seguirme.
  1. Acte III, scène iii, vers 846-848.
  2. Ceci est la fin du couplet de quatre vers, qui est suivi périodiquement dans ce système d’un couplet de cinq vers, dont l’un est de trois ou quatre syllabes ; le couplet de cinq vers commence ici à Seguirele. La réponse de Chimène est interrompue par Rodrigue, qui vient s’agenouiller devant elle, et lui demander la mort.