Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/271

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toute l’antiquité[1]. » Je voudrois que ce qu’il a dit de l’action se pût dire de la peinture que j’en ai faite, non pour en tirer plus de vanité, mais seulement[2] pour vous offrir quelque chose un peu moins indigne de vous être offert. Le sujet étoit capable de plus de grâces, s’il eût été traité d’une main plus savante ; mais du moins il a reçu de la mienne toutes celles qu’elle étoit capable de lui donner, et qu’on pouvoit raisonnablement attendre d’une muse de province[3], qui n’étant pas assez heureuse pour jouir souvent des regards de V. É., n’a pas les mêmes lumières à se conduire qu’ont celles qui en sont continuellement éclairées. Et certes. Monseigneur, ce changement visible qu’on remarque en mes ouvrages depuis que j’ai l’honneur d’être à V. É.[4], qu’est-ce autre chose qu’un effet des grandes idées qu’elle m’inspire, quand elle daigne souffrir que je lui rende mes devoirs ? et à quoi peut-on attribuer ce qui s’y mêle de mauvais, qu’aux teintures grossières que je reprends quand je demeure abandonné à ma propre foiblesse ? Il faut, Monseigneur, que tous ceux qui donnent leurs veilles au théâtre publient hautement avec moi que nous vous avons deux obligations très-signalées : l’une, d’avoir ennobli le but de l’art ; l’autre, de nous en avoir facilité les connoissances. Vous avez ennobli le but de l’art, puisqu’au lieu de celui de plaire au peuple que nous prescrivent nos

  1. Nec ferme res antiqua alia est nobilior. (Lib. I, cap. xxiv.)
  2. Le mot seulement est omis dans les recueils de 1648-1656.
  3. À cette époque Corneille habitait encore Rouen ; ce ne fut qu’en 1662 qu’il vint s’établir à Paris.
  4. « Je ne sais ce qu’on doit entendre par ces mots être à V. É. Le cardinal de Richelieu faisait au grand Corneille une pension de cinq cents écus, non pas au nom du Roi, mais de ses propres deniers… Cependant une pension de cinq cents écus que le grand Corneille fut réduit à recevoir, ne paraît pas un titre suffisant pour qu’il dît : j’ai l’honneur d’être à V. É. » (Voltaire.)