Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/29

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Si peu délicates que fussent les railleries dirigées contre le Cid, elles avaient le privilège de l’amuser. Tallemant, à qui il faut sans cesse revenir pour tous ces petits détails, nous dit dans son Historiette sur Boisrobert : « Pour divertir le Cardinal et contenter en même temps l’envie qu’il avoit contre le Cid, il le fit jouer devant lui en ridicule par les laquais et les marmitons. Entre autres choses, en cet endroit où Rodrigue dit à son fils : Rodrigue, as-tu du cœur ? Rodrigue répondoit : Je n’ai que du carreau[1]. »

Tout en blâmant, comme on le doit, un tel acharnement et de si indignes critiques, on est forcé de convenir qu’au moment où il parut, le Cid pouvait exciter de légitimes inquiétudes et augmenter les embarras d’une situation déjà bien difficile. La pièce entière était une apologie exaltée de ces maximes du point d’honneur, qui, malgré les édits sans cesse renouvelés et toujours plus sévères, multipliaient les duels dans une effrayante proportion. Elles étaient résumées dans ces quatre vers, que le comte de Gormas adressait à don Arias, qui le pressait, de la part du Roi, de faire des réparations à don Diègue :

Ces satisfactions n’apaisent point une âme :
Qui les reçoit n’a rien, qui les fait se diffame,
Et de pareils accords l’effet le plus commun
Est de perdre d’honneur deux hommes au lieu d’un[2].


Corneille fut contraint de les retrancher, mais tout le monde

  1. Tome II, p. 395. Ce sont ces belles scènes du Ier acte qui ont été le plus souvent parodiées. La plus connue et la moins mauvaise de ces plaisanteries est le Chapelain décoiffé, de Gilles Boileau ou de Furetière, qu’on trouve dans le Ménagiana, tome I, p. 145.
  2. Acte II, scène i. Il résulte de la Lettre à Mylord et de l’Avertissement de Jolly que c’était seulement par tradition qu’on avait conservé ces vers, et que l’on connaissait bien la scène à laquelle ils appartenaient, mais non l’endroit précis où ils se plaçaient. — Voltaire, dans son Théâtre de Corneille (1764, in-8o, tome I, p. 204), dit qu’ils venaient après le vers 368 : « Pour le faire abolir, etc., » et citant probablement de mémoire, il les donne avec quelques variantes : les pour ces, au premier vers ; à tort pour n’a rien, au deuxième ; déshonorer pour perdre d’honneur (voyez le vers 1466), au quatrième. Un argument décisif en faveur du texte de 1730 et 1738, tout au
    moins pour le second vers, c’est que n’a rien répond bien mieux au passage de Castro imité par Corneille : Y el otro ne cobra nada.