Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/304

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Soit que Rome y succombe ou qu’Albe ait le dessous[1],
Cher amant, n’attends plus d’être un jour mon époux ;
Jamais, jamais ce nom ne sera pour un homme[2]
Qui soit ou le vainqueur, ou l’esclave de Rome.
QuMais quel objet nouveau se présente en ces lieux ?
Est-ce toi, Curiace ? en croirai-je mes yeux ?


Scène III.

CURIACE, CAMILLE, JULIE.
CURIACE.

N’en doutez point, Camille, et revoyez un homme
Qui n’est ni le vainqueur ni l’esclave de Rome ;
Cessez d’appréhender de voir rougir mes mains
Du poids honteux des fers ou du sang des Romains.
J’ai cru que vous aimiez assez Rome et la gloire
Pour mépriser ma chaîne et haïr ma victoire ;
Et comme également en cette extrémité
Je craignois la victoire et la captivité…

CAMILLE.

Curiace, il suffit, je devine le reste :
Tu fuis une bataille à tes vœux si funeste,
Et ton cœur, tout à moi, pour ne me perdre pas,
Dérobe à ton pays le secours de ton bras.
Qu’un autre considère ici ta renommée,
Et te blâme, s’il veut, de m’avoir trop aimée ;
Ce n’est point à Camille à t’en mésestimer :
Plus ton amour paroît, plus elle doit t’aimer ;
Et si tu dois beaucoup aux lieux qui t’ont vu naître,
Plus tu quittes pour moi, plus tu le fais paroître.

  1. On trouve dans l’édition de 1656 la singulière leçon que voici :
    ---On Soit que Rome y succombe, ou qu’Albe aille dessous.
  2. Var. Mon cœur, quelque grand feu qui pour toi le consomme,
    ---Var. Ne veut ni le vainqueur ni l’esclave de Rome. (1641-48 et 55 A.)