Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/320

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Et cesse d’aspirer au nom de fratricide.
Pourquoi suis-je Romaine, ou que n’es-tu Romain ?
Je te préparerois des lauriers de ma main ;
Je t’encouragerois, au lieu de te distraire ;
Et je te traiterois comme j’ai fait mon frère.
Hélas ! J’étois aveugle en mes vœux aujourd’hui ;
J’en ai fait contre toi quand j’en ai fait pour lui.
J’eIl revient : quel malheur, si l’amour de sa femme
Ne peut non plus sur lui que le mien sur ton âme !


Scène VI.

HORACE, CURIACE, SABINE, CAMILLE.
CURIACE.

Dieux ! Sabine le suit. Pour ébranler mon cœur,
Est-ce peu de Camille ? y joignez-vous ma sœur ?
Et laissant à ses pleurs vaincre ce grand courage,
L’amenez-vous ici chercher même avantage ?

SABINE.

Non, non, mon frère, non ; je ne viens en ce lieu
Que pour vous embrasser et pour vous dire adieu.
Votre sang est trop bon, n’en craignez rien de lâche,
Rien dont la fermeté de ces grands cœurs se fâche :
Si ce malheur illustre ébranloit l’un de vous,
Je le désavouerois pour frère ou pour époux.
Pourrois-je toutefois vous faire une prière
Digne d’un tel époux et digne d’un tel frère ?
Je veux d’un coup si noble ôter l’impiété,
À l’honneur qui l’attend rendre sa pureté,
La mettre en son éclat sans mélange de crimes[1] ;
Enfin je vous veux faire ennemis légitimes.

  1. On lit, dans l’édition de 1682, des crimes, pour de crimes.