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Scène IV.

CAMILLE.

Oui, je lui ferai voir, par d’infaillibles marques,
Qu’un véritable amour brave la main des Parques,
Et ne prend point de lois de ces cruels tyrans
Qu’un astre injurieux nous donne pour parents.
Tu blâmes ma douleur, tu l’oses nommer lâche ;
Je l’aime d’autant plus que plus elle te fâche,
Impitoyable père, et par un juste effort
Je la veux rendre égale aux rigueurs de mon sort.
JeEn vit-on jamais un dont les rudes traverses
Prissent en moins de rien tant de faces diverses,
Qui fût doux tant de fois, et tant de fois cruel,
Et portât tant de coups avant le coup mortel ?
Vit-on jamais une âme en un jour plus atteinte
De joie et de douleur, d’espérance et de crainte,
Asservie en esclave à plus d’événements,
Et le piteux jouet de plus de changements ?
Un oracle m’assure, un songe me travaille[1] ;
La paix calme l’effroi que me fait la bataille ;
Mon hymen se prépare, et presque en un moment
Pour combattre mon frère on choisit mon amant ;
Ce choix me désespère, et tous le désavouent[2] ;
La partie est rompue, et les Dieux la renouent ;
Rome semble vaincue, et seul des trois Albains,
Curiace en mon sang n’a point trempé ses mains.
Ô Dieux ! sentois-je alors des douleurs trop légères[3]

  1. Var. Un oracle m’assure, un songe m’épouvante ;
    ----Var.La bataille m’effraie, et la paix me contente (1641-56)
  2. Var. Les deux camps mutinés un tel choix désavouent ;
    ----Var.Ils rompent la partie, et les Dieux la renouent. (1641-56)
  3. Var. Dieux ! sentois-je point lors des douleurs trop légères. (1641-56)
    ---Var. Ne sentois-je point lors des douleurs trop légères. (1660)