Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/393

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Le compte que Cinna lui rend de sa conspiration justifie ce que j’ai dit ailleurs[1], que, pour faire souffrir une narration ornée, il faut que celui qui la fait et celui qui l’écoute aient l’esprit assez tranquille, et s’y plaisent assez pour lui prêter toute la patience qui lui est nécessaire. Émilie a de la joie d’apprendre[2] de la bouche de son amant avec quelle chaleur il a suivi ses intentions ; et Cinna n’en a pas moins de lui pouvoir donner de si belles espérances de l’effet qu’elle en souhaite ; c’est pourquoi, quelque longue que soit cette narration, sans interruption aucune, elle n’ennuie point. Les ornements de rhétorique dont j’ai tâché de l’enrichir ne la font point condamner de trop d’artifice, et la diversité de ses figures ne fait point regretter le temps que j’y perds ; mais si j’avais attendu à la commencer qu’Évandre eût troublé ces deux amants par la nouvelle qu’il leur apporte, Cinna eût été obligé de s’en taire ou de la conclure en six vers et Émilie n’en eût pu supporter davantage.

Comme[3] les vers d’Horace[4] ont quelque chose de plus net et de moins guindé pour les pensées que ceux du Cid, on peut dire que ceux de cette pièce ont quelque chose de plus achevé[5] que ceux d’Horace, et qu’enfin la facilité de concevoir le sujet, qui n’est ni trop

  1. Voyez l’Examen de Médée, tome II, p. 337.
  2. Var. (édit de 1660-1664) : Émilie a joie d’apprendre.
  3. L’édition de 1660 a de plus, au commencement de ce paragraphe, la phrase suivante : « C’est ici la dernière pièce où je me suis pardonné de longs monologues : celui d’Émilie ouvre le théâtre, Cinna en fait un au troisième acte, et Auguste et Maxime chacun un au quatrième.
  4. Voltaire, par un scrupule de clarté, a ainsi modifié, dans son édition du Théâtre de Corneille (1764), le commencement de ce paragraphe : « Comme les vers de ma tragédie d’Horace…. »
  5. Var. (édit. de 1660) : on peut dire que ceux-ci ont quelque chose de plus achevé.