Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/406

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Qu’un crayon imparfait de leur sanglante paix.
Vous dirai-je les noms de ces grands personnages 205
Dont j’ai dépeint les morts pour aigrir les courages,
De ces fameux proscrits, ces demi-dieux mortels[1],
Qu’on a sacrifiés jusque sur les autels ?
Mais pourrois-je vous dire à quelle impatience,
À quels frémissements, à quelle violence, 210
Ces indignes trépas, quoique mal figurés,
Ont porté les esprits de tous nos conjurés ?
Je n’ai point perdu temps, et voyant leur colère
Au point de ne rien craindre, en état de tout faire,
J’ajoute en peu de mots : « Toutes ces cruautés, 215
La perte de nos biens et de nos libertés,
Le ravage des champs, le pillage des villes,
Et les proscriptions, et les guerres civiles,
Sont les degrés sanglants dont Auguste a fait choix
Pour monter dans le trône[2] et nous donner des lois. 220
Mais nous pouvons changer un destin si funeste[3],
Puisque de trois tyrans, c’est le seul qui nous reste,
Et que, juste une fois, il s’est privé d’appui,
Perdant, pour régner seul, deux méchants comme lui[4].
Lui mort, nous n’avons point de vengeur ni de maître ;225
Avec la liberté Rome s’en va renaître ;
Et nous mériterons le nom de vrais Romains,
Si le joug qui l’accable est brisé par nos mains.
Prenons l’occasion tandis qu’elle est propice :
Demain au Capitole il fait un sacrifice ;230
Qu’il en soit la victime, et faisons en ces lieux

  1. Var. Ces illustres proscrits, ces demi-dieux mortels. (1643-56)
  2. Voltaire, dans l’édition de 1764, a remplacé « dans le trône » par « sur le trône »
  3. Var. Rendons toutefois grâce à la bonté céleste,
    Que de nos trois tyrans c’est le seul qui nous reste. (1643-56)
  4. Antoine et Lépide.