Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/410

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Et puisque désormais tu ne peux me venger[1],
Dérobe au moins ta tête à ce mortel danger ;300
Fuis d’Auguste irrité l’implacable colère.
Je verse assez de pleurs pour la mort de mon père ;
N’aigris point ma douleur par un nouveau tourment,
Et ne me réduis point à pleurer mon amant[2].

CINNA.

Quoi ? sur l’illusion d’une terreur panique, 305
Trahir vos intérêts et la cause publique !
Par cette lâcheté moi-même m’accuser,
Et tout abandonner quand il faut tout oser !
Que feront nos amis, si vous êtes déçue ?

ÉMILIE.

Mais que deviendras-tu, si l’entreprise est sue ? 310

CINNA.

S’il est pour me trahir des esprits assez bas,
Ma vertu pour le moins ne me trahira pas :
Vous la verrez, brillante au bord des précipices,
Se couronner de gloire en bravant les supplices,
Rendre Auguste jaloux du sang qu’il répandra, 315
Et le faire trembler alors qu’il me perdra.
Je deviendrois suspect à tarder davantage.
Adieu, Raffermissez ce généreux courage.
S’il faut subir le coup d’un destin rigoureux,
Je mourrai tout ensemble heureux et malheureux : 320
Heureux pour vous servir de perdre ainsi la vie[3],
Malheureux de mourir sans vous avoir servie.

ÉMILIE.

Oui, va, n’écoute plus ma voix qui te retient :
Mon trouble se dissipe, et ma raison revient.

  1. Var. Et puisque désormais tu ne me peux venger. (1643-56)
  2. Var. Et ne lui permets point de m’ôter mon amant. (1643-56)
  3. Var. Heureux pour vous servir d’abandonner ma vie. (1643-56)