Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/411

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Pardonne à mon amour cette indigne foiblesse. 325
Tu voudrais fuir en vain, Cinna, je le confesse,
Si tout est découvert, Auguste a su pourvoir
À ne te laisser pas ta fuite en ton pouvoir.
Porte, porte chez lui cette mâle assurance,
Digne de notre amour, digne de ta naissance ; 330
Meurs, s’il y faut mourir, en citoyen romain,
Et par un beau trépas couronne un beau dessein.
Ne crains pas qu’après toi rien ici me retienne :
Ta mort emportera mon âme vers la tienne ;
Et mon cœur aussitôt, percé des mêmes coups… 335

CINNA.

Ah ! souffrez que tout mort je vive encore en vous ;
Et du moins en mourant permettez que j’espère
Que vous saurez venger l’amant avec le père.
Rien n’est pour vous à craindre : aucun de nos amis[1]
Ne sait ni vos desseins, ni ce qui m’est promis ;340
Et, leur parlant tantôt des misères romaines,
Je leur ai tu la mort qui fait naître nos haines[2],
De peur que mon ardeur, touchant vos intérêts[3],
D’un si parfait amour ne trahît les secrets :
Il n’est su que d’Évandre et de votre Fulvie. 345

ÉMILIE.

Avec moins de frayeur, je vais donc chez Livie,
Puisque dans ton péril il me reste un moyen
De faire agir pour toi son crédit et le mien ;
Mais si mon amitié par là ne te délivre,
N’espère pas qu’enfin je veuille te survivre. 350

  1. Var. Dans un si grand péril vos jours sont assurés :
    Vos desseins ne sont sus d’aucun de conjurés ;
    Et décrivant tantôt les misères romaines. (1643-56)
  2. La mort de Torianus, père d’Émilie.
  3. Var. De peur que trop d’ardeur touchant vos intérêts
    Sur mon visage ému ne peignît nos secrets :
    Notre amour n’est connu que d’Évandre et Fulvie (1643-56)